Depuis toujours, dans notre société comme dans tous les pays musulmans, les gens se pressent d’offrir le repas du «ftour» aux démunis, ainsi qu’aux passants qui n’ont pas «le privilège» de rompre le jeûne en famille.
Il y a quelques années, les associations ont repris le flambeau et ont commencé à organiser des repas de «ftour» gratuits. Il suffit de faire un tour dans les grandes villes comme Casablanca, pour voir de grandes tentes dressées ici et là pour accueillir les nombreux jeûneurs.Récemment, c’est un autre phénomène qui a vu le jour. Alors que certains cafés et restaurants proposent des formules de «ftour» à des prix abordables, d’autres ont décidé de servir gratuitement les passants, démunis, salariés et ouvriers qui n’ont pas la possibilité de rentrer chez eux pour rompre le jeûne en famille. Chaque soir, ce sont des centaines de repas qui sont offerts et autant de recettes auxquelles renoncent les gérants de ces cafés avec pour seul objectif de faire le bien pendant ce mois sacré.
C’est le cas du Haj Abdelkader, gérant de cinq cafés dans la capitale économique et ses environs. Chaque année, il organise ce qu’on appelle «Maidat Rahmane» (La table du Tout Miséricordieux) où il offre gratuitement un repas complet servi avec «harira», œufs durs, «msmen», «chabakia», jus d’orange ainsi que du thé, à tous ceux qui s’arrêtent devant ses cafés pendant la rupture du jeûne.
«On fait cela “fi sabil Allah”. Il y a plusieurs personnes qui se retrouvent pendant la rupture du jeûne loin de leurs maisons et leurs familles. Bien plus que ce que l’on imagine», indique Haj Abdelkader.
L’un de ses cafés situés au quartier industriel de Aïn Sebaâ, accueille chaque soir une centaine de jeûneurs. «C’est une zone industrielle, plusieurs salariés et ouvriers se retrouvent obligés de rompre le jeûne sur leur lieu de travail. En tout, une centaine de personnes prennent le “ftour” chez nous. Il y a ceux qui s’installent au café et ceux qui ne font qu’emporter le repas offert par la maison», affirme Mustapha, serveur. Et d’ajouter : «Le nombre est en baisse cette année, parce que la prière d’Al-Maghrib n’est qu’à 19 h 40, ce qui laisse largement le temps aux gens de rentrer chez eux. Il ne reste que ceux qui sont liés par une activité professionnelle qui les oblige à rester sur place».
Une initiative qui réchauffe le cœur de plus d’un. «Cela fait dix ans que je travaille pour cette usine où j’assure la sécurité pendant la nuit. Pendant le Ramadan, je ne dois pas quitter mon poste, donc rompre le jeûne a toujours été un souci parce que je n’ai pas les moyens de m’offrir un repas complet. Cependant, depuis que ce café a pris l’initiative d’offrir des repas gratuits, Ramadan a bien changé pour moi.
Que Dieu le bénisse», raconte Mohamed, un agent de sécurité. Même soulagement chez Kamal, ouvrier. «Cela fait quatre jours d’affilée que je prends le “ftour” ici et je crois que cela va durer encore quelques semaines. C’est un peu difficile de rompre le jeûne loin de sa famille. Mais on n’y peut rien face aux contraintes professionnelles. Heureusement, que le café offre le repas gratuitement, cela aurait été difficile pour moi de dépenser l’équivalent de 30 DH/soir pour rompre le jeûne», confie-t-il. Parmi les personnes attablées ce jour-là, un couple et leurs trois enfants. «Nous étions de sortie à la plage et nous n’avions plus le temps de préparer le “ftour”. Alors, on s’est arrêté ici pour rompre le jeûne. Cependant, le gérant a refusé qu’on le paye. Il a affirmé que le “ftour” est servi gratuitement pour tout le monde», dit Morad. Autre lieu, même ambiance. «Depuis le début du mois, je viens ici pour prendre mon “ftour”. Notre employeur nous laisse seulement une demi-heure pour rompre le jeûne. Du coup, il est difficile pour moi de rentrer à la maison. Dieu merci, le café offre un repas complet gratuitement, sinon j’aurai eu beaucoup de mal boucler le mois», souligne Hamza, salarié dans une société agroalimentaire à Rabat. Said, lui non plus ne peut pas fermer boutique. «Commerçant : Je ne rentre pas chez moi pour prendre le “ftour” en famille. Je travaille loin de chez moi et je ne peux pas fermer mon commerce. Surtout que l’activité bat son plein à partir de 21 h. Heureusement depuis deux ans, l’argent n’est plus un souci», lance-t-il.
Ce café de la capitale ne désemplit pas à l’heure du «ftour». «Cela fait deux ans que nous offrons le repas du “ftour” gratuitement. On a pris cette décision, parce qu’on a remarqué qu’un grand nombre de personnes étaient obligées de rompre le jeûne au café, vu leurs contraintes professionnelles. Mais aussi que ces personnes n’avaient pas forcément les moyens de se payer des repas quotidiens», indique Haj Bilal.
«Ftour du cœur»
S’inspirant de l’initiative de l’artiste français Coluche «Les restos du cœur», l’Association Maroc 21 organise pendant le mois sacré de Ramadan le «Ftour du cœur» avec comme objectif principal de combattre l’isolement et venir en aide aux nécessiteux. Il s’agit d’un site réceptif aménagé à Rabat et dans lequel l’association offre le repas de la rupture du jeûne, quotidiennement, à 500 personnes et où règne un climat de partage et de convivialité. Pour ce qui est du financement du programme, l’Association avait lancé un appel au public plus de deux mois avant le début du Ramadan, en utilisant les réseaux sociaux pour parvenir à une plus grande mobilisation. Les responsables de l’Association avaient, en effet, demandé à chaque parrain de prendre en charge le «ftour» d’une personne durant tout le mois de Ramadan en estimant chaque repas à 25 DH.
Repères
Même si les gérants refusent de déclarer ce que leur coûtent ces repas gratuits, on compte près de 3 000 DH par soir qui sont dépensés «fi sabil Allah». Hormis les salariés, les agents de police, les chauffeurs routiers, les pompiers, les commerçants ambulants et même certaines familles, profitent des repas gratuits offerts par les cafés.