La vague de protestations qui a déferlé sur le monde arabe, notamment sur les pays de la région du Maghreb, n’a pas manqué d’instaurer de grands changements politiques. Cette nouvelle configuration serait à même d’accélérer l’intégration régionale pour aboutir à la concrétisation de l’Union du Maghreb Arabe
LA première sortie officielle du nouveau ministre des Affaires étrangères marocain, Sâadeddine El Othmani, correspond à la première visite d’un chef de la diplomatie marocaine en Algérie depuis 9 ans. En déplacement pour deux jours, le ministre a été reçu hier par le président algérien Abdelaziz Bouteflika en personne. Pas de doute, les signaux sont forts par rapport à la reprise des relations diplomatiques maroco-algériennes, en stand-by depuis plus de deux décennies. «Cette visite d’un ministre marocain d’obédience islamiste entraînera peut-être un renouvellement pragmatique aux relations entre les deux Etats», analyse Ismail Mâaraf, professeur de relations internationales à l’université d’Alger. Parmi les dossiers saillants à l’ordre du jour, figurent la question de la réouverture des frontières entre les deux pays et le problème du Sahara. Sur ce dernier point, les observateurs affirment que la rencontre sert surtout à préparer le terrain pour les prochaines négociations prévues avec le Polisario durant le mois de février prochain.
Peut-on en déduire que les choses sont en phase d’évoluer? Pas si sûr. «Il est encore trop tôt pour parler de vrais changements dans nos relations avec l’Algérie, les rapports ayant été très rigides jusqu’ici à cause de la compétition politique pour le leadership de la région», tempère Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des relations internationales. «L’Algérie, étant un pays quasi enclavé, sans littoral autre que du côté de la Méditerranée, l’instauration d’un pseudo-Etat sahraoui sous l’influence algérienne lui permettrait d’avoir une voie d’accès vers l’océan Atlantique, vitale d’un point de vue géopolitique», souligne le professeur.
Pourtant, s’il n’y a pas de règlement pour ces clivages politiques, c’est bien l’avenir de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) qui risque d’en pâtir. «C’est indéniable, les deux pays constituent les principaux axes à l’édification du Grand Maghreb, à l’image du rôle joué par la France et l’Allemagne dans la mise en place de l’actuelle Union européenne», souligne Mohammed Taj Eddine Al Hussein, professeur de relations internationales à l’université Mohammed V de Rabat.
Mise en place en 1989, l’UMA entend instaurer un espace économique intégré à travers la réalisation d’un marché commun réunissant le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Depuis la déclaration de Marrakech (17 février 1989), l’Union est en hibernation et le conseil présidentiel (instance suprême de l’organisation) est inactif. Résultat: l’intégration régionale est au point mort.
Pourtant, le manque à gagner pour les pays concernés, notamment pour le Maroc et l’Algérie, est très important. Selon le Peterson Institute for International Economics, les bénéfices de cette union pour le commerce international seraient de l’ordre de 4 à 5 milliards de dollars, soit 43 milliards de DH, si l’ensemble de la région UMA rentrait en libre-échange avec les Etats-Unis ou l’UE. Les avantages sont chiffrés à environ 9 milliards de dollars (plus de 77 milliards de DH) si le libre-échange était entamé avec les deux partenaires. Encore plus surprenant, l’impact pour la croissance serait de l’ordre de 4 points pour le Maroc dans ce dernier cas de figure. «L’Unité maghrébine est donc indispensable si les pays de la région veulent survivre dans un monde globalisé. Aucun des pays de l’UMA ne peut peser individuellement face aux grandes puissances étrangères», précise Kerdoudi.
Dans nos rapports avec l’Algérie, la complémentarité est encore plus flagrante: l’Algérie détient des ressources abondantes en pétrole et en gaz dont le Maroc a besoin. En contrepartie, le Maroc dispose d’un bon tissu industriel, d’un tourisme florissant et de ressources naturelles plus adaptées. En attendant, les échanges entre les deux pays demeurent très timides: 8,3 milliards de DH en 2010 dont 7,2 milliards importés et 1,2 milliard exportés. A fin septembre 2011, les échanges peinent à dépasser 770 millions de DH (680 millions importés, 94 millions exportés). Pour les importations marocaines, elles se constituent principalement de gaz naturel. Le Maroc percevant un paiement en nature pour les droits de passage sur son territoire du pipeline gazoduc à destination de l’Espagne. De son côté, le Maroc vend quelques produits textiles et de conserves.
L’instauration d’un climat de confiance entre le Maroc et l’Algérie permettra donc non seulement de soutenir l’économie des deux pays, mais aura également des incidences positives sur le processus d’édification de l’UMA. L’effet ricochet ne s’arrête pas là: un Maghreb uni permettra de surmonter les obstacles liés à l’opérationnalisation de l’Union pour la Méditerranée. «L’Europe a aujourd’hui besoin d’un Maghreb stable qui présente moins de risques liés au terrorisme et à l’immigration clandestine et d’un marché prospère où elle pourra investir de manière rentable».
Le poids de la contrebande
DANS l’absence d’échanges formel et direct entre le Maroc et l’Algérie, la contrebande est un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur. Selon l’étude la plus récente menée par l’observatoire de la contrebande de la Chambre de commerce, de l’industrie et des services d’Oujda, ce secteur illicite réalise un chiffre d’affaires moyen de 6 milliards de DH par an dans la région de l’Oriental. Ces «estimations minimales» serait équivalent au chiffre d’affaires réalisé par 1.200 PME/PMI réunies. Par conséquent, c’est plus de 32.400 emplois qui seraient perdus. La région de l’Oriental est devenue par la force des choses une plaque tournante de la contrebande et du commerce informel. Les souks et kissariats d’Oujda, de Nador, Taourirt, Berkane ou encore Béni Drar proposent toutes sortes de marchandises. Cela va des produits alimentaires aux puces électroniques et hightech en passant par les pièces détachées. la frontière avec l’Algérie, longue de 500 kilomètres de Saïdia jusqu’à Figuig, et la proximité de Melilla, sont les principaux axes de passage de toute la contrebande. La contrebande occupe pas moins de 6.000 personnes, essentiellement des jeunes.
Ayoub NAÏM
LA première sortie officielle du nouveau ministre des Affaires étrangères marocain, Sâadeddine El Othmani, correspond à la première visite d’un chef de la diplomatie marocaine en Algérie depuis 9 ans. En déplacement pour deux jours, le ministre a été reçu hier par le président algérien Abdelaziz Bouteflika en personne. Pas de doute, les signaux sont forts par rapport à la reprise des relations diplomatiques maroco-algériennes, en stand-by depuis plus de deux décennies. «Cette visite d’un ministre marocain d’obédience islamiste entraînera peut-être un renouvellement pragmatique aux relations entre les deux Etats», analyse Ismail Mâaraf, professeur de relations internationales à l’université d’Alger. Parmi les dossiers saillants à l’ordre du jour, figurent la question de la réouverture des frontières entre les deux pays et le problème du Sahara. Sur ce dernier point, les observateurs affirment que la rencontre sert surtout à préparer le terrain pour les prochaines négociations prévues avec le Polisario durant le mois de février prochain.
Peut-on en déduire que les choses sont en phase d’évoluer? Pas si sûr. «Il est encore trop tôt pour parler de vrais changements dans nos relations avec l’Algérie, les rapports ayant été très rigides jusqu’ici à cause de la compétition politique pour le leadership de la région», tempère Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des relations internationales. «L’Algérie, étant un pays quasi enclavé, sans littoral autre que du côté de la Méditerranée, l’instauration d’un pseudo-Etat sahraoui sous l’influence algérienne lui permettrait d’avoir une voie d’accès vers l’océan Atlantique, vitale d’un point de vue géopolitique», souligne le professeur.
Pourtant, s’il n’y a pas de règlement pour ces clivages politiques, c’est bien l’avenir de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) qui risque d’en pâtir. «C’est indéniable, les deux pays constituent les principaux axes à l’édification du Grand Maghreb, à l’image du rôle joué par la France et l’Allemagne dans la mise en place de l’actuelle Union européenne», souligne Mohammed Taj Eddine Al Hussein, professeur de relations internationales à l’université Mohammed V de Rabat.
Mise en place en 1989, l’UMA entend instaurer un espace économique intégré à travers la réalisation d’un marché commun réunissant le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Depuis la déclaration de Marrakech (17 février 1989), l’Union est en hibernation et le conseil présidentiel (instance suprême de l’organisation) est inactif. Résultat: l’intégration régionale est au point mort.
Pourtant, le manque à gagner pour les pays concernés, notamment pour le Maroc et l’Algérie, est très important. Selon le Peterson Institute for International Economics, les bénéfices de cette union pour le commerce international seraient de l’ordre de 4 à 5 milliards de dollars, soit 43 milliards de DH, si l’ensemble de la région UMA rentrait en libre-échange avec les Etats-Unis ou l’UE. Les avantages sont chiffrés à environ 9 milliards de dollars (plus de 77 milliards de DH) si le libre-échange était entamé avec les deux partenaires. Encore plus surprenant, l’impact pour la croissance serait de l’ordre de 4 points pour le Maroc dans ce dernier cas de figure. «L’Unité maghrébine est donc indispensable si les pays de la région veulent survivre dans un monde globalisé. Aucun des pays de l’UMA ne peut peser individuellement face aux grandes puissances étrangères», précise Kerdoudi.
Dans nos rapports avec l’Algérie, la complémentarité est encore plus flagrante: l’Algérie détient des ressources abondantes en pétrole et en gaz dont le Maroc a besoin. En contrepartie, le Maroc dispose d’un bon tissu industriel, d’un tourisme florissant et de ressources naturelles plus adaptées. En attendant, les échanges entre les deux pays demeurent très timides: 8,3 milliards de DH en 2010 dont 7,2 milliards importés et 1,2 milliard exportés. A fin septembre 2011, les échanges peinent à dépasser 770 millions de DH (680 millions importés, 94 millions exportés). Pour les importations marocaines, elles se constituent principalement de gaz naturel. Le Maroc percevant un paiement en nature pour les droits de passage sur son territoire du pipeline gazoduc à destination de l’Espagne. De son côté, le Maroc vend quelques produits textiles et de conserves.
L’instauration d’un climat de confiance entre le Maroc et l’Algérie permettra donc non seulement de soutenir l’économie des deux pays, mais aura également des incidences positives sur le processus d’édification de l’UMA. L’effet ricochet ne s’arrête pas là: un Maghreb uni permettra de surmonter les obstacles liés à l’opérationnalisation de l’Union pour la Méditerranée. «L’Europe a aujourd’hui besoin d’un Maghreb stable qui présente moins de risques liés au terrorisme et à l’immigration clandestine et d’un marché prospère où elle pourra investir de manière rentable».
Le poids de la contrebande
DANS l’absence d’échanges formel et direct entre le Maroc et l’Algérie, la contrebande est un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur. Selon l’étude la plus récente menée par l’observatoire de la contrebande de la Chambre de commerce, de l’industrie et des services d’Oujda, ce secteur illicite réalise un chiffre d’affaires moyen de 6 milliards de DH par an dans la région de l’Oriental. Ces «estimations minimales» serait équivalent au chiffre d’affaires réalisé par 1.200 PME/PMI réunies. Par conséquent, c’est plus de 32.400 emplois qui seraient perdus. La région de l’Oriental est devenue par la force des choses une plaque tournante de la contrebande et du commerce informel. Les souks et kissariats d’Oujda, de Nador, Taourirt, Berkane ou encore Béni Drar proposent toutes sortes de marchandises. Cela va des produits alimentaires aux puces électroniques et hightech en passant par les pièces détachées. la frontière avec l’Algérie, longue de 500 kilomètres de Saïdia jusqu’à Figuig, et la proximité de Melilla, sont les principaux axes de passage de toute la contrebande. La contrebande occupe pas moins de 6.000 personnes, essentiellement des jeunes.
Ayoub NAÏM