Un conflit sur la pêche est en train de tendre les relations entre l'Union européenne et le Maroc. Ce dernier ira-t-il jusqu'à modifier sa politique étrangère vis à vis de l'UE ? Abdelmalek Alaoui, analyste politique et co-auteur de l’ouvrage "Le Maghreb dans les relations internationales", pose les enjeux.
Le 14 décembre, l’Union européenne, par la voix de son Parlement, a rejeté l’extension d’un protocole annuel de pêche la liant au Maroc, déclenchant une véritable guerre de tranchées au sein des institutions européennes et révélant des luttes d’influence intenses entre Conseil de l’Europe, Commission et Parlement.
Côté marocain, au-delà de la blessure d’orgueil et de l’indignation, on se demande quel objectif vise l’UE en mettant un terme à l’un des piliers de sa politique de coopération avec la rive sud de la Méditerranée.
L’Europe marche-t-elle sur la tête ?
C’est la question que nombre d’analystes maghrébins se posent après la débâcle autour de l’accord de pêche UE-Maroc. D’un côté, une commissaire européenne, Maria Damanaki, qui pensait avoir avoir "verrouillé" le processus de renouvellement, et de l’autre, un Parlement européen rebelle qui semble se redécouvrir une "liberté de penser" que l’on croyait abandonnée sur l’autel du principe de réalité.
En un vote expédié lors d’une séance plénière, le Parlement a ainsi remis en cause près d’une année de négociations entre Bruxelles et Rabat, avec pour objectif de continuer à fournir aux pêcheurs andalous ce poisson dont sont tant friands les Espagnols.
Pour ce faire, le Conseil de l’UE ainsi que la Commission avaient entamé un lobbying intense auprès des autorités marocaines pour leur demander de renouveler l’accord de pêche. Gage de cette volonté, les deux instances avaient ratifié le texte il y a près de dix mois. En contrepartie, l’UE versait aux Marocains une contribution de près de 36 millions d’euros annuels, afin de compenser une partie du manque à gagner pour le Royaume.
L’Espagne et le Maroc indignés
Pour Madrid - qui a immédiatement dénoncé la décision du Parlement européen et demandé une réparation financière - cette non-reconduction de l’accord signifie une accentuation immédiate du marasme que traverse le sud de l’Espagne, et ravive de mauvais souvenirs. En effet, il y a quelques années, le non-renouvellement de l’accord de pêche avait déclenché une véritable crise en Espagne, obligeant les chalutiers à rester à quai.
Côté marocain, c’est l’incompréhension qui domine, surtout que Rabat estime que la commission européenne a failli à sa tâche d’harmonisation de la coopération en défendant à minima le texte devant le Parlement. Dans une menace à peine voilée, le Royaume chérifien a d’ailleurs signifié qu’il s’interrogeait sur "l’opportunité d’une réévaluation globale de son partenariat avec l’UE, à l’heure où des négociations sont en cours (…) sur d’autres volets de coopération, à savoir le commerce des services, la mobilité et la réadmission". En clair, le Maroc pourrait ne pas coopérer sur d’autres sujets stratégiques pour l’UE tels que le contrôle de l’immigration ou les barrières douanières.
Au-delà de cette guerre des nerfs légitime à laquelle se prêtent désormais les ex-partenaires, pour une Europe plongée dans une crise économique sans précédent, s’aliéner le Maroc constitue un risque important qui n’a pas manqué de faire réagir la responsable de la politique extérieure de l’Union, Catherine Ashton. Consciente que l’unité européenne sur la question est menacée par certains pays qui, tel le Portugal, ont évoqué l’ouverture de négociations bilatérales directes, Mme Ashton a affirmé qu’elle souhaiterait que les parties se concentrent sur la négociation d’un nouvel accord.
Vers un tournant de la politique étrangère du Maroc ?
Cependant, malgré ces appels du pied enrobés dans un langage techno-bruxellois, il peu probable que Maroc soit prêt à se lancer à nouveau dans un cycle de discussions-marathon qui pourrait ne pas aboutir.
Quand bien même le ferait-il, ceci constituerait une erreur stratégique, car le temps semble venu pour les pays du sud de marquer leur désapprobation vis à vis de ce mode d’action européen qui consiste à conditionner l’aide au développement par des restrictions à l’immigration. Autre variante de ce chantage Bruxellois : tenir un discours moralisateur sur les droits de l’homme mais décourager l’opérationnalisation des instruments de coopération tels que cet accord de pêche.
D’un point de vue politique, la manière abrupte dont a été mis un terme à cet accord constitue un signal très négatif pour les maghrébins, surtout dans un climat post "printemps arabe" extrêmement délicat. Au-delà de la blessure d’orgueil pour Rabat, la qualité et la nature de l’engagement européen aux côtés du Maghreb et du monde arabe semblent en effet être remis en question, et ceci aura un impact certain sur les autres accords en cours de négociation, dont l’accord de Libre échange agricole (ALE).
Dans les allées du pouvoir marocain, il se murmure que les ministres concernés par le dossier, Taïeb Fassi-Fihri aux Affaires étrangères et Aziz Akhannouch à l’Agriculture, ont décidé de concert de ne pas relancer les discussions avec l’Europe, afin de permettre à l’Union de se déterminer réellement sur le type de politique de voisinage et de coopération qu’elle souhaite mener.
Une décision, qui, si elle se confirmait, est à saluer et pourrait marquer un tournant en termes de politique étrangère du Maghreb.
Le Nouvel Observateur
Le 14 décembre, l’Union européenne, par la voix de son Parlement, a rejeté l’extension d’un protocole annuel de pêche la liant au Maroc, déclenchant une véritable guerre de tranchées au sein des institutions européennes et révélant des luttes d’influence intenses entre Conseil de l’Europe, Commission et Parlement.
Côté marocain, au-delà de la blessure d’orgueil et de l’indignation, on se demande quel objectif vise l’UE en mettant un terme à l’un des piliers de sa politique de coopération avec la rive sud de la Méditerranée.
L’Europe marche-t-elle sur la tête ?
C’est la question que nombre d’analystes maghrébins se posent après la débâcle autour de l’accord de pêche UE-Maroc. D’un côté, une commissaire européenne, Maria Damanaki, qui pensait avoir avoir "verrouillé" le processus de renouvellement, et de l’autre, un Parlement européen rebelle qui semble se redécouvrir une "liberté de penser" que l’on croyait abandonnée sur l’autel du principe de réalité.
En un vote expédié lors d’une séance plénière, le Parlement a ainsi remis en cause près d’une année de négociations entre Bruxelles et Rabat, avec pour objectif de continuer à fournir aux pêcheurs andalous ce poisson dont sont tant friands les Espagnols.
Pour ce faire, le Conseil de l’UE ainsi que la Commission avaient entamé un lobbying intense auprès des autorités marocaines pour leur demander de renouveler l’accord de pêche. Gage de cette volonté, les deux instances avaient ratifié le texte il y a près de dix mois. En contrepartie, l’UE versait aux Marocains une contribution de près de 36 millions d’euros annuels, afin de compenser une partie du manque à gagner pour le Royaume.
L’Espagne et le Maroc indignés
Pour Madrid - qui a immédiatement dénoncé la décision du Parlement européen et demandé une réparation financière - cette non-reconduction de l’accord signifie une accentuation immédiate du marasme que traverse le sud de l’Espagne, et ravive de mauvais souvenirs. En effet, il y a quelques années, le non-renouvellement de l’accord de pêche avait déclenché une véritable crise en Espagne, obligeant les chalutiers à rester à quai.
Côté marocain, c’est l’incompréhension qui domine, surtout que Rabat estime que la commission européenne a failli à sa tâche d’harmonisation de la coopération en défendant à minima le texte devant le Parlement. Dans une menace à peine voilée, le Royaume chérifien a d’ailleurs signifié qu’il s’interrogeait sur "l’opportunité d’une réévaluation globale de son partenariat avec l’UE, à l’heure où des négociations sont en cours (…) sur d’autres volets de coopération, à savoir le commerce des services, la mobilité et la réadmission". En clair, le Maroc pourrait ne pas coopérer sur d’autres sujets stratégiques pour l’UE tels que le contrôle de l’immigration ou les barrières douanières.
Au-delà de cette guerre des nerfs légitime à laquelle se prêtent désormais les ex-partenaires, pour une Europe plongée dans une crise économique sans précédent, s’aliéner le Maroc constitue un risque important qui n’a pas manqué de faire réagir la responsable de la politique extérieure de l’Union, Catherine Ashton. Consciente que l’unité européenne sur la question est menacée par certains pays qui, tel le Portugal, ont évoqué l’ouverture de négociations bilatérales directes, Mme Ashton a affirmé qu’elle souhaiterait que les parties se concentrent sur la négociation d’un nouvel accord.
Vers un tournant de la politique étrangère du Maroc ?
Cependant, malgré ces appels du pied enrobés dans un langage techno-bruxellois, il peu probable que Maroc soit prêt à se lancer à nouveau dans un cycle de discussions-marathon qui pourrait ne pas aboutir.
Quand bien même le ferait-il, ceci constituerait une erreur stratégique, car le temps semble venu pour les pays du sud de marquer leur désapprobation vis à vis de ce mode d’action européen qui consiste à conditionner l’aide au développement par des restrictions à l’immigration. Autre variante de ce chantage Bruxellois : tenir un discours moralisateur sur les droits de l’homme mais décourager l’opérationnalisation des instruments de coopération tels que cet accord de pêche.
D’un point de vue politique, la manière abrupte dont a été mis un terme à cet accord constitue un signal très négatif pour les maghrébins, surtout dans un climat post "printemps arabe" extrêmement délicat. Au-delà de la blessure d’orgueil pour Rabat, la qualité et la nature de l’engagement européen aux côtés du Maghreb et du monde arabe semblent en effet être remis en question, et ceci aura un impact certain sur les autres accords en cours de négociation, dont l’accord de Libre échange agricole (ALE).
Dans les allées du pouvoir marocain, il se murmure que les ministres concernés par le dossier, Taïeb Fassi-Fihri aux Affaires étrangères et Aziz Akhannouch à l’Agriculture, ont décidé de concert de ne pas relancer les discussions avec l’Europe, afin de permettre à l’Union de se déterminer réellement sur le type de politique de voisinage et de coopération qu’elle souhaite mener.
Une décision, qui, si elle se confirmait, est à saluer et pourrait marquer un tournant en termes de politique étrangère du Maghreb.
Le Nouvel Observateur