Le ministre marocain de l’Énergie a dévoilé la feuille de route du plan national de développement du gaz naturel liquéfié dédié à la production d’électricité. La première phase de ce plan, qui tourne le dos au gaz algérien, prévoit un investissement de 3,7 mrds€.
La centrale à cylce combiné au gaz de Tahaddart, d'une capacité de 585MWh, est la première et la seule du genre au Maroc aujourd'hui à utiliser le gaz naturel pour produire de l'électricité. (photo: ONEE)MAROC. « Le deuxième élément de notre stratégie énergétique nationale, après l’introduction des énergies renouvelables, est la réorganisation de notre bouquet fossile avec le développement du gaz naturel liquéfié », a indiqué le ministre de l’Énergie, Abdelkader Amara, mardi 16 décembre 2014, lors de la présentation de la feuille de route pour le Plan national de développement du GNL au siège du ministère, à Rabat.
Le Maroc annonce qu’il va investir 3,7mrds€ d’ici à 2025 pour produire 2 700 MWh grâce au gaz naturel. Il entend réduire sa dépendance au charbon et au pétrole et répondre à une demande en énergie électrique qui devrait croître de 6,1% à 6,2% par an entre 2014 et 2025, selon les estimations du ministère.
Rabat prévoit de construire pour 479,7 M€ une jetée adaptée dans le port de Jorf Lasfar, véritable pôle maritime industriel du pays, ainsi qu’une usine de regazéification pour 639,6 M€ et une infrastructure de stockage pour 319,8 M€. Plusieurs centrales à cycle combiné au gaz seront également construites pour le convertir en électricité moyennant un investissement de 1,8 mrd€.
Selon les premiers éléments présentés par le ministre, quatre nouvelles centrales à cycle combiné au gaz devraient produire chacune 600 MWh. Deux seront installées à Jorf Lasfar et deux autres seront installées sur l’un des sites retenus : Dhar Eddoum, Oued El Makhazine ou El Wahda... Deux turbines à gaz, à Mohammedia et Kenitra, seront transformées et permettront de produire 150 MWh chacune.
Un gazoduc de 400 km reliera toutes ces centrales entre elles sur un axe nord-sud connecté au GME (Gazoduc Maghreb Europe) pour un investissement de 479,7 M€. Le Maroc prévoit donc de faire avec le gaz ce qu’il entreprend avec l’éolien et le solaire : développer toute une filière et en obtenir progressivement la maîtrise.
1 390 millions de m3 de gaz importés d’Algérie
A l’heure actuelle, seules deux centrales électriques emploient du gaz naturel au Maroc : l’une à cycle combiné produit 585 MWh à Tahaddart depuis 2005, l’autre thermo-solaire produit 385 MWh à Aïn Beni Mathar depuis 2010. « L’approvisionnement en gaz de ces deux centrales se fait sur les quantités perçues au titre des royalties du passage du gazoduc Algérie-Espagne par le territoire marocain de 750 millions de m3 par an depuis fin octobre 2011, et grâce à un contrat commercial de fourniture de gaz signé en 2011, pour dix ans, avec la Sonatrach de 640 millions de m3 supplémentaires », a indiqué Abdelkader Amara.
« Le Maroc considère visiblement qu’il a atteint, pour le moment, le niveau maximal de dépendance aux hydrocarbures algérien qu’il peut tolérer », analyse Francis Ghilès, chercheur au Barcelona center for international affairs (CIDOB), car, le plan présenté par le ministre se tourne entièrement vers le gaz naturel liquéfié, c’est-à-dire le gaz importé par bateau, par opposition au gaz algérien qui arrive au Maroc sous forme aérienne par gazoduc.
Le prix de la sécurité énergétique marocaine La centrale thermo-solaire à cycle combiné au gaz utilise le gaz importé d'Algérie par le gazoduc Mediterranée-Europe qui traverse le territoire marocain. (photo: ONEE) La centrale thermo-solaire à cycle combiné au gaz utilise le gaz importé d'Algérie par le gazoduc Mediterranée-Europe qui traverse le territoire marocain. (photo: ONEE) « Le gaz acheté à d’autres pays que l’Algérie sera nécessairement beaucoup plus cher en raison du transport - sans compter les infrastructures portuaires et l’usine de regazéification qu’il faudra construire - mais c’est là le prix que donne aujourd’hui le Maroc à sa sécurité énergétique dans le climat de défiance profond qu’il entretient avec l’Algérie », explique Francis Ghilès.
Le risque que l’Algérie suspende ses livraisons de gaz vers le Maroc demeurent pourtant quasi-nuls. « Depuis les débuts, en 1964, l’Algérie n’a jamais interrompu un seul contrat. Alors le Maroc peut estimer que sa situation est particulière et présente plus de risque, mais il existe différentes façons de s’en prémunir efficacement. En impliquant une troisième institution ou pays, dans un contrat de livraison de gaz, le Maroc pouvait s’assurer que l’Algérie ne puisse pas suspendre ses livraisons sans causer de tort à ce troisième acteur », explique Francis Ghilès.
Dans le contexte du GME, l’Espagne, en bout de course, constitue déjà ce troisième acteur que l’Algérie n’envisagerait jamais d’agresser en coupant les livraisons de gaz. « Mais la sécurité est une question politique, sujette à la psychologie et à la perception des acteurs. Or, aujourd’hui, en l’état actuel des relations entre le Maroc et l’Algérie, le Maroc refuse de prendre ce risque », conclut le spécialiste du coût du non-Maghreb.
« Le sacro-saint principe de diversification »
Interrogé sur l’utilisation des ressources de gaz offertes par le GME, le ministre marocain de l’Énergie a offert une réponse plus diplomatique : « Il existe un sacro-saint principe qui stipule qu’il faut diversifier ses sources d’approvisionnement. Aujourd’hui, tous les scénarios sont sur la table y compris la reconduction du contrat commercial avec la Sonatrach ou un swap avec l’Espagne, mais nous privilégions une approche structurante qui s’accompagnera également de retombées locales intéressantes, et nous permettra de développer un certain nombre de nouveaux métiers. »
Si le Maroc fait le choix aujourd’hui de se tourner vers des importations de gaz qui viendront sans doute d’Angola, du Qatar, du Nigéria ou de Trinidad, il se garde de se couper définitivement du gaz algérien. Le plan national marocain précise, en effet, que le gazoduc marocain dédié à fournir les différentes centrales électriques en gaz sera connecté au GME. « Il est possible qu’à plus long terme, le Maroc, une fois qu’il se sera doté de cette usine de regazéification, soit plus disposé à racheter du gaz algérien car il aura la possibilité de s’en détourner en cas de problème », envisage Francis Ghilès. Acheter du gaz à l’Algérie ne serait plus synonyme de dépendance.
Julie Chaudier, à CASABLANCA