Coup d'envoi ce dimanche de la campagne pour les élections législatives en Algérie. 44 partis sont en lice. Ce scrutin va être un véritable test pour l'avenir d'un régime qui cherche à démontrer que le changement est possible et qu'il peut s'opérer par les urnes. Mais il va être difficile de convaincre des Algériens désabusés par les dérives de leurs dirigeants.
Alors assiste-t-on à un renouveau de la classe politique algérienne ? Les réformes politiques mises en œuvre par le président Bouteflika dans le sillage du printemps arabe ont-elles porté leurs fruits ? Pourquoi la population algérienne se désintéresse-t-elle de la politique ? Pour répondre à ces questions, ARTE Journal s'est adressé à Lhouari Addi, sociologue, à l'Institut de Sciences Politiques de Lyon. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur l'Algérie, le Maghreb et le Monde arabe. Une interview réalisée par Fella Bouredji pour ARTE Journal.
ARTE Journal : l'Algérie fête cette année le cinquantenaire de son indépendance mais on ne ressent aucun enthousiasme de la part de la population pour cette célébration. Comment l'expliquez-vous ?
Lhouari Addi, sociologue : La population algérienne exprime sa déception vis-à-vis du régime qui a quand même échoué sur le plan économique, sur le plan culturel et à tous les niveaux. Elle n'est pas intéressée parce qu'il lui semble que ce régime, cet Etat n'est pas le sien. Ce n'est pas l'Etat qu'elle souhaite avoir, c'est ce qui explique cette absence d'enthousiasme. Ceci dit, les Algériens dans leur grande majorité, y compris la jeunesse, sont tout à fait acquis à l'idée que leurs parents ont arraché cette indépendance. Selon un sondage réalisé récemment par une équipe d'universitaires arabes et américains pour le compte de l'organisme de recherche Arab Barometer, 84,5% des Algériens ne s'intéressent pas à la politique alors 52% ne lui accordent aucune confiance.
ARTE Journal : Comment analysez-vous les résultats de ce sondage?
Lhouari Addi : Il faut savoir que dans tous les pays arabes secoués par les révoltes, il est interdit de faire de la politique. Dans ces pays comme en Algérie, ce qu'on voit sur la place officielle n'est qu'une parodie de politique. Tous les partis politiques algériens sont des partis de l'administration. Il est interdit de faire de la politique. Or faire de la politique, c'est d'abord choisir son président, ses députés, les maires. En Algérie, c'est le DRS, la police politique qui décide. Ceux qui veulent faire de la politique se mettent en danger, ils seront tués, ou torturés. Il y a eu 200 000 morts au cours de la décennie noire. Des milliers d'Algériens ont été torturés au chalumeau.
ARTE Journal : Le président Bouteflika a lancé des réformes politiques et permis la création de nouveaux partis pour les législatives. Assistons-nous, selon vous, à un renouveau du paysage politique qui permettra de réconcilier les Algériens avec les urnes ?
Lhouari Addi : Ces réformes ont été initiées dans le cadre de ce qu'on a appelé le printemps arabe. Et le régime veut montrer qu'il est dans le sillage des transformations et de la rupture mais tout ce qu'il cherche en vérité, c'est à se maintenir en place et à s'adapter à la situation. Et ce qui prouve qu'il est toujours dans la même logique, c'est qu'il est en train de fragmenter le paysage partisan. Avoir une soixantaine de partis politiques, ça sert justement à continuer à dévaloriser la politique, en attirant les plus opportunistes. Au risque de vous choquer, j'aimerais dire qu'il est même interdit à Bouteflika lui-même de faire de la politique. Bouteflika n'a aucun pouvoir, il l'a montré parce qu'il n'a pas réussi à changer le chef de la police politique, qui est en place depuis plus de 20 ans et c'est ce dernier qui est le vrai patron de l'Algérie. Le fond du problème est que le système politique algérien est issu de la libération du pays et cinquante ans après, il est épuisé. Sa dynamique historique s'est arrêtée. Le régime est épuisé et la société est en attente d'un nouveau régime mais l'armée s'y oppose. Si on regardait de plus près en faisant des enquêtes, ce qui est impossible, je suis sûr qu'il y a des courants divergents dans l'armée mais qui n'apparaissent pas publiquement.
ARTE Journal : Comment cela se répercutera-t-il sur les prochaines législatives ?
Lhouari Addi : Il y aura une forte abstention. Je pense qu'on aura dans les 27% de taux de participation.
ARTE Journal : Cela constitue-t-il réellement une menace pour le pouvoir ?
Lhouari Addi : Le régime est en train de chercher la quadrature du cercle. Il cherche un soutien populaire alors qu'il exclut la population du champ politique, ce qui est paradoxal. Le pouvoir cherche le beurre et l'argent du beurre : on va démocratiser le pays à condition que le peuple vote pour les partis qui lui seront proposés.
ARTE Journal : Cela peut-il aboutir à une explosion sociale ?
Lhouari Addi : Oui, les émeutes localisées perdurent. Ce qui se passe dans le monde arabe aujourd'hui, s'est passé en 1988 en Algérie. La transition démocratique a échoué momentanément mais ça va rebondir parce qu'il y a des demandes extraordinairement profondes dans la société, des demandes d'Etat, de modernité, de droit. On ne peut pas le dater, les universitaires ne peuvent pas prévoir ce qui peut se passer, mais dans six mois, un an ou deux ans, ce régime va s'écrouler dans la violence.
ARTE JOURNAL
Alors assiste-t-on à un renouveau de la classe politique algérienne ? Les réformes politiques mises en œuvre par le président Bouteflika dans le sillage du printemps arabe ont-elles porté leurs fruits ? Pourquoi la population algérienne se désintéresse-t-elle de la politique ? Pour répondre à ces questions, ARTE Journal s'est adressé à Lhouari Addi, sociologue, à l'Institut de Sciences Politiques de Lyon. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur l'Algérie, le Maghreb et le Monde arabe. Une interview réalisée par Fella Bouredji pour ARTE Journal.
Lhouari Addi, sociologue : La population algérienne exprime sa déception vis-à-vis du régime qui a quand même échoué sur le plan économique, sur le plan culturel et à tous les niveaux. Elle n'est pas intéressée parce qu'il lui semble que ce régime, cet Etat n'est pas le sien. Ce n'est pas l'Etat qu'elle souhaite avoir, c'est ce qui explique cette absence d'enthousiasme. Ceci dit, les Algériens dans leur grande majorité, y compris la jeunesse, sont tout à fait acquis à l'idée que leurs parents ont arraché cette indépendance. Selon un sondage réalisé récemment par une équipe d'universitaires arabes et américains pour le compte de l'organisme de recherche Arab Barometer, 84,5% des Algériens ne s'intéressent pas à la politique alors 52% ne lui accordent aucune confiance.
ARTE Journal : Comment analysez-vous les résultats de ce sondage?
Lhouari Addi : Il faut savoir que dans tous les pays arabes secoués par les révoltes, il est interdit de faire de la politique. Dans ces pays comme en Algérie, ce qu'on voit sur la place officielle n'est qu'une parodie de politique. Tous les partis politiques algériens sont des partis de l'administration. Il est interdit de faire de la politique. Or faire de la politique, c'est d'abord choisir son président, ses députés, les maires. En Algérie, c'est le DRS, la police politique qui décide. Ceux qui veulent faire de la politique se mettent en danger, ils seront tués, ou torturés. Il y a eu 200 000 morts au cours de la décennie noire. Des milliers d'Algériens ont été torturés au chalumeau.
ARTE Journal : Le président Bouteflika a lancé des réformes politiques et permis la création de nouveaux partis pour les législatives. Assistons-nous, selon vous, à un renouveau du paysage politique qui permettra de réconcilier les Algériens avec les urnes ?
Lhouari Addi : Ces réformes ont été initiées dans le cadre de ce qu'on a appelé le printemps arabe. Et le régime veut montrer qu'il est dans le sillage des transformations et de la rupture mais tout ce qu'il cherche en vérité, c'est à se maintenir en place et à s'adapter à la situation. Et ce qui prouve qu'il est toujours dans la même logique, c'est qu'il est en train de fragmenter le paysage partisan. Avoir une soixantaine de partis politiques, ça sert justement à continuer à dévaloriser la politique, en attirant les plus opportunistes. Au risque de vous choquer, j'aimerais dire qu'il est même interdit à Bouteflika lui-même de faire de la politique. Bouteflika n'a aucun pouvoir, il l'a montré parce qu'il n'a pas réussi à changer le chef de la police politique, qui est en place depuis plus de 20 ans et c'est ce dernier qui est le vrai patron de l'Algérie. Le fond du problème est que le système politique algérien est issu de la libération du pays et cinquante ans après, il est épuisé. Sa dynamique historique s'est arrêtée. Le régime est épuisé et la société est en attente d'un nouveau régime mais l'armée s'y oppose. Si on regardait de plus près en faisant des enquêtes, ce qui est impossible, je suis sûr qu'il y a des courants divergents dans l'armée mais qui n'apparaissent pas publiquement.
ARTE Journal : Comment cela se répercutera-t-il sur les prochaines législatives ?
Lhouari Addi : Il y aura une forte abstention. Je pense qu'on aura dans les 27% de taux de participation.
ARTE Journal : Cela constitue-t-il réellement une menace pour le pouvoir ?
Lhouari Addi : Le régime est en train de chercher la quadrature du cercle. Il cherche un soutien populaire alors qu'il exclut la population du champ politique, ce qui est paradoxal. Le pouvoir cherche le beurre et l'argent du beurre : on va démocratiser le pays à condition que le peuple vote pour les partis qui lui seront proposés.
ARTE Journal : Cela peut-il aboutir à une explosion sociale ?
Lhouari Addi : Oui, les émeutes localisées perdurent. Ce qui se passe dans le monde arabe aujourd'hui, s'est passé en 1988 en Algérie. La transition démocratique a échoué momentanément mais ça va rebondir parce qu'il y a des demandes extraordinairement profondes dans la société, des demandes d'Etat, de modernité, de droit. On ne peut pas le dater, les universitaires ne peuvent pas prévoir ce qui peut se passer, mais dans six mois, un an ou deux ans, ce régime va s'écrouler dans la violence.
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