La plus grande structure à béton jamais construite en Algérie tourne à la bérézina immobilière. Le centre commercial et d’affaires Al-Qods, de Chéraga, réalisé par la Société Internationale Eddar (SIDAR) et réceptionné officiellement en 2006, offre, quatre ans plus tard, une triste image. Outre des défauts architecturaux, le centre souffre de l’option vente à des copropriétaires qui, pour la plupart, ne se manifestent plus pour payer les charges. Le centre est désormais face à des problèmes de trésorerie.
Au-delà de son emplacement plus qu’encombrant- à croire qu’aucune étude d’impact n’a été faite- cet imposant édifice est aujourd’hui dans un état déplorable. Une simple visite suffit pour le vérifier. Il ne faut pas sortir de l’EPAU d’Alger pour constater le nombre incalculable d’imperfections à commencer par le parking payant du centre. Les personnes dont la taille dépasse les 185 centimètres sont priées de se pencher pour pouvoir marcher à l’intérieur du parking. A défaut, ils risquent de se blesser gravement en se frottant le crane au plafond.
Certain type de 4X4 sont tout simplement interdits d’accès. Jouxtant le parking, les espaces réservés à l’approvisionnement et à la livraison des marchandises sont inondés à la moindre chute de pluie et deviennent inaccessible. Les étages supérieurs ne sont pas en reste. A l’exception du rez-de-chaussée où règne un semblant d’animation du fait des entrées et sorties de quelques rares clients, c’est le désert ! Les escalators, en état de marche, servent de passe-temps aux écoliers du coin et à certains petits badauds en mal de distraction. Quand aux panneaux de signalisation, il vaut mieux ne pas s’y fier au risque de se perdre. L’insalubrité des ascenseurs mis à la disposition des clients et des résidents témoigne amplement du degré du laisser-aller qui prévaut dans ce bâtiment. Rencontré sur place, M.O, copropriétaire d’un studio et architecte de formation dénonce un certain nombre de dépassements. Le maitre d’ouvrage, selon lui, « a été amené, encouragé par la frénésie des acheteurs, à transformer des espaces, initialement prévue pour autre chose, en locaux commerciaux ». C’est le cas notamment des locaux construits au sous-sol dans des impasses et qui, à priori, ne serviront absolument à rien. Ces locaux ne figuraient pas, souligne-t-il, dans les plans initiaux du centre dont il détient une copie. Idem pour le restaurant de l’esplanade qui n’était pas aussi dans les plans.
Une lointaine ressemblance avec le projet
Les matériaux utilisés dans les travaux de finition sont, estime M O, « d’une qualité bas de gamme pour un projet immobilier pareil dit de haut standing ». Sur la maquette du projet, des ascenseurs panoramiques sont prévus et bien mis en valeur… Dans la réalisation finale, ils ont disparu. Coté sécurité, les manquements sont légion aux dires de notre interlocuteur. « Il y a une année un petit incendie a faillé dégénérer en catastrophe, la panique était générale, les détecteurs de fumée n’ont pas fonctionné ». Les familles résidentes, indique par ailleurs, le copropriétaire, « étaient censées avoir leur propre porte d’accès. Aujourd’hui, elles accèdent aux habitations par l’entrée principale du centre avec les clients, ce qui est inadmissible ». Une chose est sure, l’actuel Centre d’Al-Qods n’est qu’une pâle copie de celui annoncé en projet et édifié sur maquette. Sur le site internet de la société Sidar (www.sidar-dz.com), le projet est pourtant présenté comme « un symbole et un repère urbain incontournable non seulement pour l'agglomération d'Alger mais pour tout le pays, par sa conception moderne, originale et historique ». Comble de l’ironie, le projet puise sa symbolique de l’un des lieux saints de l’Islam à savoir la mosquée sacrée d’Al-Qods, en Palestine, avec sa coupole dorée. Comme quoi, dans les affaires, rien n’est sacré !
La bonne formule aurait été de louer au lieu de vendre…
Sur place, le jeune directeur du Centre, Djaileb Nourdine, le deuxième depuis l’ouverture du Centre, a bien voulu répondre à nos questions. Loin de fuir ses responsabilités de gestionnaire des lieux, il reconnait d’emblée l’existence d’imperfections de construction au niveau de certains compartiments de l’immeuble, une situation dont il a hérité. Quant au reste des manquements relevés (dégradation des parties communes, mauvaise qualité des services, sécurité,…), il impute tout à un grave problème de trésorerie généré par les copropriétaires eux même. Ces derniers, note-t-il, « ne s’acquittent pas de leurs charges qui sont de l’ordre de 800 DA le m² pour les studios d’habitation, 1500 DA pour les ERNI (espaces de représentations nationales et internationales) et 2000 DA pour les locaux commerciaux. Nous avons à peine 4% de recouvrement de charges ». Une situation difficile que les concepteurs du projet auraient pu prévenir s’ils avaient opté pour un autre modèle de management du centre. L’option de vente choisie au démarrage du projet « a été une erreur » reconnaît le directeur. Il aurait souhaité qu’on opte plutôt pour la location des locaux commerciaux. Une erreur que le Centre paie aujourd’hui chèrement puisque sur les 490 locaux commerciaux existants (430 prévus initialement), seulement 80 sont occupés par leurs propriétaires, révèle notre interlocuteur en ajoutant que la majorité des acquéreurs « n’étaient pas des commerçants mais plutôt des spéculateurs qui achètent pour vendre ».
Des copropriétaires fantômes
Toutes les démarches initiées par le bureau de gestion en vu d’amener les copropriétaires à ouvrir leur locaux se sont soldées par un échec. « Devant le mutisme des copropriétaires, nous avons saisi toutes les autorités publiques pour qu’elles interviennent et sommer les propriétaires des locaux à ouvrir. Des personnes sont venues pour demander des informations sur les acquéreurs mais nous ne les avons plus revues depuis » indique le Directeur. Et d’ajouter : «lorsque je suis arrivé au Centre, je n’ai trouvé aucun règlement intérieur ni cahier de charges. Par quel moyen puis-je alors contraindre les copropriétaires à s’acquitter de leur dus ? ».
Le déficit en recouvrement de charge est aujourd’hui supporté totalement par SIDAR qui débourse annuellement, d’après M.Djaileb, 08 milliards de centimes. Mais le problème qui taraude l’esprit du jeune manager c’est l’après mars 2011, date à laquelle prendra fin le contrat de gestion de SIDAR. Si les copropriétaires des locaux commerciaux ne s’acquittent pas de leurs charges et ne s’impliquent pas d’avantage dans la gestion, la situation deviendra délicate. Au-delà de cette date, avertit-il, le centre « risque la faillite ».