Le soleil se couche sur Zouérat, la prospère ville minière du Nord-Est mauritanien. Dans cette cité qui a vu naître le Polisario de Moustapha El Ouali dans les années 70, un homme s’apprête à défier le rideau de fer qui sépare les camps de Tindouf du reste du monde.
Cet homme c’est Moustapha Ould Salma, inspecteur général de la Police du Polisario, en «rupture de ban » depuis le mois d’août dernier. L’entretien qu’il a accepté d’accorder à "Les Afriques" est réalisé quelques heures avant le grand voyage de 800 km, qui doit le mener vers les camps de Tindouf. Un voyage sur une piste rocailleuse et des chemins sinueux qui ne sera pas de tout repos.Où en êtes-vous aujourd’hui avec votre projet de rejoindre les camps de réfugiés de Tindouf ?
Je suis en route avec deux amis. Dès demain (NDLR : aujourd’hui, 16 septembre 2010), j’entame mon trajet de 800 km qui doit me conduire de Zouératt à Tindouf. Je passerai la frontière mauritanienne à partir de Bir Moghrein. Ma mère m’attend à 50 km de l’autre côté de la frontière. Et nous nous retrouverons si le Polisario le veut bien. Tout ce que je veux c’est retrouver ma famille. J’ai écouté quelques dirigeants du Polisario me dire que je ne peux pas rentrer dans le camp. Le représentant du Polisario en France a dit à travers la chaîne El Arabia que je suis marocain.
Justement, êtes-vous un authentique Sahraoui ?
Je n’ai pas besoin de polémiquer là dessus. Je suis un sahraoui de la tribu Regueibat. Ma famille est de l’ex Sahara espagnol. Il faut dire que tous les authentiques sahraouis sont marginalisés par la direction actuelle du Polisario. Je prendrai en exemple le président de la RASD, Ould Abdel Aziz, dont le père est un marocain de Marrakech. Ou encore, le ministre de la défense dont toute la famille est de Tindouf. Nous avons des algériens et des mauritaniens qui occupent des postes de responsabilité. Les vrais sahraouis sont parqués dans les camps de réfugiés. Les 90% du haut commandement ne sont pas de vrais sahraouis.
Pourquoi avez –vous choisi de parler maintenant. Qu’est-ce qui vous motive ?
Avant, je vivais dans les camps de réfugiés comme la majorité des sahraouis. Je n’ai jamais vu le Maroc. De 1979 à 2010, on nous a appris à reporter tous nos maux sur le Maroc. Mais quand j’ai visité le royaume pour rendre visite à mon père à Smara, j’ai pu mesurer l’évolution du Maroc. Le Maroc de 2010 n’est pas celui des années 70 ou 80. Le Maroc a évolué dans sa vision. La proposition d’autonomie est quelque chose de nouveau. Quant à ma prise de position, elle s’adresse d’abord au peuple sahraoui. Les sahraouis ne doivent pas attendre les algériens et les marocains terminer leur conflit pour régler leurs problèmes.
Etes-vous entrain de dire qu’il n’y a aucune responsabilité du Polisario ?
Le Polisario n’existe pas. Il y a deux pays qui se font face. Le Polisario exprime les intérêts algériens. Il ne peut pas exister sans le soutien de ce pays.
Ce plan d’autonomie peut-il être entériné par le Polisario sans l’aval de l’Algérie ?
L’Algérie a ses propres intérêts au Sahara. Nous, Sahraoui, devons sortir de l’agenda d’Algérie ou d’Espagne et prendre véritablement position pour nous même. L’autonomie du Sahara avec le Maroc est une solution viable. Je voulais m’en expliquer, mais le sujet n’intéresse pas les leaders Sahraouis parce que leurs familles ne sont pas concernées. Les leaders du Polisario qui sont là depuis 1973 ne sont pas Sahraouis pour la plupart. Comment peuvent-ils s’intéresser au sort du peuple Sahraoui. Comme je l’ai dit, la tribu du président Mohamed El Abdel Aziz et celle du ministre de la défense ne vivent pas au Sahara contrairement à la mienne.
Quelles sont les relations entre le Polisario et les ONG ?
Le Polisario c’est une organisation qui n’est pas membre de l’ONU. Donc il dispose d’une marge de manoeuvre élargie n’étant pas soumis aux règles des Etats.
Mais comment l’organisation finance-t-il son budget de fonctionnement ?
Vous parlez d’argent, c’est justement le point noir. Le budget ne se discute pas au parlement sahraoui qui est sensé le faire
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Au sein du Polisario, y-t-il une frange favorable au plan d’autonomie proposé par le Maroc ?
Certainement. La majorité des sahraouis sont des jeunes qui veulent le changement. Nous voulons changer la situation des sahraouis figée depuis les années 70. Ce n’est malheureusement pas la position des responsables sahraouis qui profitent de la misère de leur peuple.
Finalement, quelle est la différence entre le Polisario historique de Moustapha El Ouali et celui de Abdel Aziz ?
La différence est très grande. En 34 ans, Mohamed Abdel Aziz n’a rien fait. Là aussi je dirai parce que El Ouali est un vrai sahraoui, sa famille y vit, contrairement à Abdel Aziz dont la famille est à Tindouf, une localité algérienne. Les habitants de Tindouf sont algériens.
Comment expliquez-vous le ralliement massif des jeunes sahraouis au Maroc ?
Ce que je peux en dire, c’est que ce n’est pas facile pour ceux qui vivent dans ces camps de réfugiés de franchir les différents obstacles des armes et des murs sans fenêtres. Les gens qui prennent des risques partent. Les autres restent dans les camps de réfugiés.
Avez-vous été influencé d’une manière ou d’une autre par le Maroc par exemple ?
Ma décision est personnelle. Le Maroc n’a rien à y voir. C’est mon projet. Demain, je vais entamer ce trajet. La distance est très longue. Je lance un appel à toutes les organisations internationales. Je demande aux médias de me soutenir dans cette entreprise pour rallier ma famille et mes enfants.
En tant que chef de la police et responsable des prisons, vous savez que vous risquez peut être la prison ?
En effet tout est possible. Ce que je veux c’est voir ma famille. Je veux que les sahraouis se libèrent, qu’il puisse réfléchir et décider de leurs destins eux-mêmes
Propos recueillis par Adama Wade