Le discours royal du 6 novembre 2013 marque une nouvelle étape dans le dossier du Sahara, car tranchant par sa franchise avec le langage réservé des relations diplomatiques. Désormais, on joue «cartes sur table» et devant le monde entier. En appelant les choses par leur nom, le Souverain a clairement fait comprendre que le Maroc ne sera pas le terrain des règlements de comptes entre les différentes factions au pouvoir en Algérie.
Cette nouvelle escalade et la campagne agressive qui s’en suit est à lire à l’aune de la crise profonde que vit un régime au crépuscule de sa vie. Après avoir fait le grand ménage au sein du puissant DRS (Département du Renseignement et de la Sécurité) tout en maintenant à sa tête le puissant général Tewfik (72 ans), mais pas pour longtemps à notre sens; et après avoir nommé ses proches aux postes-clés du nouveau gouvernement, le président septuagénaire s’attaque à la diplomatie pour signifier à ceux qui ont voulu signer sa mort prématurée qu’il en est toujours le maître absolu. Quoi de mieux, pour ce faire, que de provoquer son voisin de l’ouest?
Les analystes interprètent ce grand remue-ménage comme des préparatifs de la part du natif d’Oujda, pour briguer un quatrième mandat. La réalité est, hélas, beaucoup plus complexe et le président algérien a plus de soucis que d’ambitions et de moyens. Bouteflika ne peut plus assister ne serait-ce que pour la forme aux cérémonies officielles et n’est conscient que quelques heures par jour. Il lui est donc impossible de mener une campagne électorale et, encore moins, assumer pendant cinq ans les lourds offices de chef de l’Etat. Il sait mieux que quiconque que ses forces physiques et cérébrales l’ont lâché. Si le président algérien n’a plus de succession à préparer (son frère Saïd), il a, en revanche, un clan à protéger après sa disparition. Son entourage est, en effet, cité dans de multiples affaires de corruption dont la plus médiatisée est celle impliquant son proche, l’ancien ministre de l’Energie Chekib Khellil, dans le dossier Sonatrach.
Cette affaire qui a éclaté par une presse réputée proche du DRS, visait à barrer la route au vieux président qui se préparait déjà pour un quatrième mandat. Certains journaux, pour enfoncer le clou et l’affaiblir davantage, sont même allés jusqu’à l’accuser d’être personnellement impliqué dans le scandale.
Un avant-goût de ce qui les attend (lui et ses protégés), en cas de modification des rapports de force. Trois jours après, il fut transporté en urgence en France entre la vie et la mort. De retour, il entame la grande purge des centres de contrepouvoir.
Mais pourquoi les maîtres du jeu qui l’ont pourtant porté au pouvoir en 1999 et lui ont permis de passer trois mandats globalement sans couacs, décident-ils subitement de le lâcher? Il n’est un secret pour personne que le président algérien n’assume plus ses charges depuis plusieurs années, en raison de sa santé chancelante. Des décisions importantes traînent depuis plusieurs mois et pendant lesquels il ne reçoit ni son Premier ministre, ni son gouvernement. Si cette situation paralyse l’Etat, elle ne gênait pas les vrais détenteurs du pouvoir.
Les choses ont toutefois radicalement changé sous l’effet de trois facteurs:
- le retour en force de groupes jihadistes qui se font de plus en plus menaçants et frappent au coeur de l’économie algérienne. L’incident d’Ain Amenas a ainsi montré de graves lacunes dans le renseignement et la sécurité militaires; - la fragilité du régime révélée par les émeutes de janvier 2011, qui n’ont été contenues que grâce à une généreuse distribution de la rente pétrolière;
- l’offensive diplomatique du Maroc qui marque plusieurs points dans le dossier du Sahara par des positions novatrices et une stratégie économique pragmatique, en direction de l’Afrique, contrastant avec l’attitude et le discours de l’Algérie, figés depuis les années 70. Chacun de ces facteurs est suffisant pour mettre en danger les modalités et les bénéficiaires de la rente pétrolière qui constituent les véritables «codes» de déchiffrage de la politique algérienne. Dans ces conditions, une quatrième législature d’un homme malade à la tête du pays est porteuse de tous les dangers.
Cette donne est aggravée par la politique économique de l’Algérie qui fonce directement et à grande vitesse vers un mur, en raison d’une inquiétante dépendance du pétrole et du gaz (voir encadré).
Cette réalité est d’autant plus effrayante que les dirigeants algériens savent qu’il est trop tard pour entreprendre des réformes de fonds de leur modèle économique. L’Algérie a déjà consommé les deux tiers de ses réserves pétrolières et la moitié de ses réserves gazières et les 400 milliards de dollars dépensés durant les trois mandats de Bouteflika n’ont eu aucun effet sur l’économie. L’inertie causée par la lutte des clans empêche toute réforme structurelle. En profitant de la triple légitimité du président: historique (héros de l’indépendance), politique (chef de l’Etat) et militaire (chef des armées), le clan Bouteflika mène une guerre de survie, en mettant hors d’état de nuire tous ceux qu’il redoute et qui peuvent lui «tomber dessus» si la boussole du pouvoir change de direction.
Le vieux guerrier livre une dernière bataille pour sauver sa tête et celle de ses proches et s’assurer que le fauteuil présidentiel échoit à l’un de ses protégés.
Craquer à tout moment
Le régime algérien peut pendant un certain temps encore garantir une certaine paix sociale, en calmant les couches populaires, à coups de distribution de la rente (augmentation de salaires et des retraites, extension du champ des produits subventionnés, distribution de logements, octroi de crédits pour les jeunes à fonds quasi perdus.) et en garantissant des budgets très généreux à la défense (armée) et à la sécurité (police).
Toutefois, à la moindre matérialisation de l’un de ces trois risques: baisse du prix des hydrocarbures, accélération de l’amenuisement des réserves ou baisse du dollar, le système risque tout simplement de craquer. Dans ce cas, avec moins de ressources, le régime aura le choix entre supprimer les subventions et renforcer les budgets de la sécurité et de la défense pour mater toute révolte ou maintenir le pouvoir d’achat de la population et se fragiliser par une réduction des budgets régaliens, ce qui est juste inconcevable pour les généraux en Algérie. Il ne s’agit pas d’un scénario fiction. Le pays a déjà connu pareille situation dans les années 80, suite au premier contre-choc pétrolier. La chute des cours du baril a siphonné les ressources du pays, ce qui a conduit aux révoltes urbaines, au démarrage du processus de réformes, à l’arrivée des islamistes au pouvoir, au coup d’Etat militaire et, in fine, à la décennie noire. La deuxième fois eut lieu en janvier 2011, mais là les caisses étaient pleines et le régime a frôlé la catastrophe de justesse. La direction du trésor français souligne, dans un rapport daté du mois d’avril 2012: «Excessivement dépendant des hydrocarbures (37% du PIB, 97% des exportations et 70% des recettes fiscales) et des dépenses publiques, le modèle de croissance de l’économie algérienne ne paraît pas soutenable à long terme. La diversification de l’économie et le développement du secteur privé, qui seuls permettront de créer les conditions d’une croissance pérenne, de réduire le chômage (10%, mais 20% pour les jeunes diplômés) et l’économie informelle (entre 20 et 40% du PIB) apparaissent plus que jamais nécessaires».
Nabil Adel
Les analystes interprètent ce grand remue-ménage comme des préparatifs de la part du natif d’Oujda, pour briguer un quatrième mandat. La réalité est, hélas, beaucoup plus complexe et le président algérien a plus de soucis que d’ambitions et de moyens. Bouteflika ne peut plus assister ne serait-ce que pour la forme aux cérémonies officielles et n’est conscient que quelques heures par jour. Il lui est donc impossible de mener une campagne électorale et, encore moins, assumer pendant cinq ans les lourds offices de chef de l’Etat. Il sait mieux que quiconque que ses forces physiques et cérébrales l’ont lâché. Si le président algérien n’a plus de succession à préparer (son frère Saïd), il a, en revanche, un clan à protéger après sa disparition. Son entourage est, en effet, cité dans de multiples affaires de corruption dont la plus médiatisée est celle impliquant son proche, l’ancien ministre de l’Energie Chekib Khellil, dans le dossier Sonatrach.
Cette affaire qui a éclaté par une presse réputée proche du DRS, visait à barrer la route au vieux président qui se préparait déjà pour un quatrième mandat. Certains journaux, pour enfoncer le clou et l’affaiblir davantage, sont même allés jusqu’à l’accuser d’être personnellement impliqué dans le scandale.
Un avant-goût de ce qui les attend (lui et ses protégés), en cas de modification des rapports de force. Trois jours après, il fut transporté en urgence en France entre la vie et la mort. De retour, il entame la grande purge des centres de contrepouvoir.
Mais pourquoi les maîtres du jeu qui l’ont pourtant porté au pouvoir en 1999 et lui ont permis de passer trois mandats globalement sans couacs, décident-ils subitement de le lâcher? Il n’est un secret pour personne que le président algérien n’assume plus ses charges depuis plusieurs années, en raison de sa santé chancelante. Des décisions importantes traînent depuis plusieurs mois et pendant lesquels il ne reçoit ni son Premier ministre, ni son gouvernement. Si cette situation paralyse l’Etat, elle ne gênait pas les vrais détenteurs du pouvoir.
Les choses ont toutefois radicalement changé sous l’effet de trois facteurs:
- le retour en force de groupes jihadistes qui se font de plus en plus menaçants et frappent au coeur de l’économie algérienne. L’incident d’Ain Amenas a ainsi montré de graves lacunes dans le renseignement et la sécurité militaires; - la fragilité du régime révélée par les émeutes de janvier 2011, qui n’ont été contenues que grâce à une généreuse distribution de la rente pétrolière;
- l’offensive diplomatique du Maroc qui marque plusieurs points dans le dossier du Sahara par des positions novatrices et une stratégie économique pragmatique, en direction de l’Afrique, contrastant avec l’attitude et le discours de l’Algérie, figés depuis les années 70. Chacun de ces facteurs est suffisant pour mettre en danger les modalités et les bénéficiaires de la rente pétrolière qui constituent les véritables «codes» de déchiffrage de la politique algérienne. Dans ces conditions, une quatrième législature d’un homme malade à la tête du pays est porteuse de tous les dangers.
Cette donne est aggravée par la politique économique de l’Algérie qui fonce directement et à grande vitesse vers un mur, en raison d’une inquiétante dépendance du pétrole et du gaz (voir encadré).
Cette réalité est d’autant plus effrayante que les dirigeants algériens savent qu’il est trop tard pour entreprendre des réformes de fonds de leur modèle économique. L’Algérie a déjà consommé les deux tiers de ses réserves pétrolières et la moitié de ses réserves gazières et les 400 milliards de dollars dépensés durant les trois mandats de Bouteflika n’ont eu aucun effet sur l’économie. L’inertie causée par la lutte des clans empêche toute réforme structurelle. En profitant de la triple légitimité du président: historique (héros de l’indépendance), politique (chef de l’Etat) et militaire (chef des armées), le clan Bouteflika mène une guerre de survie, en mettant hors d’état de nuire tous ceux qu’il redoute et qui peuvent lui «tomber dessus» si la boussole du pouvoir change de direction.
Le vieux guerrier livre une dernière bataille pour sauver sa tête et celle de ses proches et s’assurer que le fauteuil présidentiel échoit à l’un de ses protégés.
Craquer à tout moment
Le régime algérien peut pendant un certain temps encore garantir une certaine paix sociale, en calmant les couches populaires, à coups de distribution de la rente (augmentation de salaires et des retraites, extension du champ des produits subventionnés, distribution de logements, octroi de crédits pour les jeunes à fonds quasi perdus.) et en garantissant des budgets très généreux à la défense (armée) et à la sécurité (police).
Toutefois, à la moindre matérialisation de l’un de ces trois risques: baisse du prix des hydrocarbures, accélération de l’amenuisement des réserves ou baisse du dollar, le système risque tout simplement de craquer. Dans ce cas, avec moins de ressources, le régime aura le choix entre supprimer les subventions et renforcer les budgets de la sécurité et de la défense pour mater toute révolte ou maintenir le pouvoir d’achat de la population et se fragiliser par une réduction des budgets régaliens, ce qui est juste inconcevable pour les généraux en Algérie. Il ne s’agit pas d’un scénario fiction. Le pays a déjà connu pareille situation dans les années 80, suite au premier contre-choc pétrolier. La chute des cours du baril a siphonné les ressources du pays, ce qui a conduit aux révoltes urbaines, au démarrage du processus de réformes, à l’arrivée des islamistes au pouvoir, au coup d’Etat militaire et, in fine, à la décennie noire. La deuxième fois eut lieu en janvier 2011, mais là les caisses étaient pleines et le régime a frôlé la catastrophe de justesse. La direction du trésor français souligne, dans un rapport daté du mois d’avril 2012: «Excessivement dépendant des hydrocarbures (37% du PIB, 97% des exportations et 70% des recettes fiscales) et des dépenses publiques, le modèle de croissance de l’économie algérienne ne paraît pas soutenable à long terme. La diversification de l’économie et le développement du secteur privé, qui seuls permettront de créer les conditions d’une croissance pérenne, de réduire le chômage (10%, mais 20% pour les jeunes diplômés) et l’économie informelle (entre 20 et 40% du PIB) apparaissent plus que jamais nécessaires».
Nabil Adel