Alors que sa santé est chancelante et que son mandat se termine en avril prochain, Abdelaziz Bouteflika pourrait rester à son poste quelques années de plus. Mais le président est-il vraiment le maître du pays ?
Quand Abdelaziz Bouteflika a été victime, le 27 avril dernier, d’un accident vasculaire cérébral, l’affaire paraissait entendue : le président algérien ne briguerait pas un quatrième mandat. Mais aujourd’hui, la presse algérienne évoque de plus en plus sérieusement la possibilité d’une candidature du président sortant à la prochaine élection, prévue en avril 2014.
L’état de santé de Abdelaziz Bouteflika n’est pourtant guère rassurant : certains observateurs pensent même qu’il est incapable de gouverner. Hospitalisé d’urgence à Paris, le président n’est rentré en Algérie que le 16 juillet. Depuis, il se fait discret. Le 29 septembre dernier, le Conseil des ministres, curieusement annulé la semaine précédente, a pu se tenir pour la première fois de l’année 2013. “La photo de famille prise avec tout le staff gouvernemental montre un homme très affaibli, le regard perdu, écrit le quotidien El Watan. Sa tentative de se mettre debout en s’appuyant sur sa chaise a été un exercice difficile. D’ailleurs, la scène a été censurée, privant du coup le téléspectateur de l’image qui montre le président debout.”
Pour éviter au natif d’Oujda, aujourd’hui âgé de 76 ans, les affres d’une campagne électorale, le pouvoir serait en train de préparer une révision de la Constitution, transformant le quinquennat présidentiel en septennat, ce qui permettrait au président, sans effort, de rester en place deux ans de plus. “On en parle dans les milieux politiques, mais ça paraît invraisemblable, confie à TelQuel Hacen Ouali, journaliste à El Watan. C’est difficile de vendre ce scénario aux Algériens !” Reprise en main
A en croire ce reporter, “les voies du pouvoir sont impénétrables”. Cependant, plusieurs éléments suggèrent que le clan présidentiel a commencé à préparer la prochaine échéance électorale. Mi-septembre, Abdelaziz Bouteflika a procédé à un important remaniement ministériel, limogeant dix ministres. “Il a absolument tout verrouillé”, nous explique le politologue algérien Rachid Grim, qui précise que le président a pris soin de nommer “des proches” à la tête des ministères de la Justice et de l’Intérieur – ce dernier étant chargé de l’organisation des élections. “Le candidat du pouvoir, que ce soit Bouteflika ou celui qui aura été adoubé par lui, passera comme une lettre à la poste”, ajoute Rachid Grim.
Une autre décision présidentielle agite le landerneau politico-médiatique algérien : la restructuration du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), souvent considéré comme le réel détenteur du pouvoir en Algérie. Selon la presse, Abdelaziz Bouteflika a récemment nommé de nouveaux responsables à la tête de deux importantes directions de ce département. Il a également placé trois services névralgiques de l’armée, auparavant chapeautés par le DRS, sous l'autorité directe du chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, un proche du président, promu vice-ministre de la Défense à l’occasion du remaniement ministériel. Cette restructuration concerne notamment le service central de la police judiciaire de l’armée, laquelle a été à l’origine d’enquêtes pour corruption qui ont éclaboussé notamment le groupe pétrolier Sonatrach et l’ex-ministre de l’Energie Chakib Khelil, un proche de Abdelaziz Bouteflika. Saïd Bouteflika, le frère du président, est soupçonné d’avoir trempé dans ces scandales… Bataille au sommet
Pour certains analystes, ces décisions présidentielles visent donc essentiellement à réduire l’influence des services du renseignement et à mettre le clan Bouteflika à l’abri. Il y aurait donc une guerre au sommet du pouvoir entre ce clan et le DRS – un conflit dans lequel le président aurait repris la main. Cela dit, “il est difficile de croire que, d’un revers de main, le président puisse écarter des hauts gradés du DRS sans un accord préalable entre les différents centres du pouvoir”, tempère le journaliste Hacen Ouali. En vérité, il est quasi impossible d’en avoir le cœur net, et de savoir qui dirige vraiment l’Algérie. “C’est un des systèmes politiques les plus complexes au monde, le pouvoir s’exerce de manière opaque, dans l’ombre. C’est un pouvoir informel”, souligne Hacen Ouali. Pour le politologue Mohamed Hachemaoui, c’est le DRS qui tire les ficelles. “Ce gigantesque remaniement et le prétendu démembrement du DRS ne sont qu’une mise en scène. Il n’est pas dans l’intérêt du DRS d’apparaître au grand jour comme le détenteur des clés du pouvoir”, a-t-il expliqué au quotidien français La Croix. Le politologue Rachid Tlemçani, interrogé par TelQuel, estime quant à lui qu’“il y a une certaine division du travail entre le DRS et la présidence. Certains dossiers sont gérés par le DRS, les autres par la présidence. Et les deux sont d’accord dans le sens où ils sont contre toute ouverture du système politique algérien”. Au bord de l’explosion
En attendant, et pendant que les différentes strates du pouvoir se partagent la rente gazière et pétrolière, “la situation sociale est explosive”, nous indique Hacen Ouali, du journal El Watan. “Il y a des mouvements sociaux tout au long de l’année, dans des domaines comme l’éducation ou la santé. Il y a un chômage endémique, une crise du logement. L’Algérie est un Etat riche, mais tout son argent est géré dans l’opacité et sans rendre de comptes, alors que des sommes faramineuses sont dilapidées. La corruption est à l’échelle industrielle.” Une partie de la population vit dans la pauvreté, la misère et l’exclusion. “La situation est intenable pour beaucoup, poursuit le journaliste. La réalité des choses est déprimante, le désespoir gagne de nombreux Algériens. Le traumatisme de la guerre civile est encore présent et il tétanise, paralyse la société. Mais en même temps, il y a des poches de résistance. Ça changera, c’est le sens de l’histoire, mais on ne sait pas quand ni comment. Une explosion sociale peut survenir d’un jour à l’autre.” Ça craint…
Claire Rivière
L’état de santé de Abdelaziz Bouteflika n’est pourtant guère rassurant : certains observateurs pensent même qu’il est incapable de gouverner. Hospitalisé d’urgence à Paris, le président n’est rentré en Algérie que le 16 juillet. Depuis, il se fait discret. Le 29 septembre dernier, le Conseil des ministres, curieusement annulé la semaine précédente, a pu se tenir pour la première fois de l’année 2013. “La photo de famille prise avec tout le staff gouvernemental montre un homme très affaibli, le regard perdu, écrit le quotidien El Watan. Sa tentative de se mettre debout en s’appuyant sur sa chaise a été un exercice difficile. D’ailleurs, la scène a été censurée, privant du coup le téléspectateur de l’image qui montre le président debout.”
Pour éviter au natif d’Oujda, aujourd’hui âgé de 76 ans, les affres d’une campagne électorale, le pouvoir serait en train de préparer une révision de la Constitution, transformant le quinquennat présidentiel en septennat, ce qui permettrait au président, sans effort, de rester en place deux ans de plus. “On en parle dans les milieux politiques, mais ça paraît invraisemblable, confie à TelQuel Hacen Ouali, journaliste à El Watan. C’est difficile de vendre ce scénario aux Algériens !” Reprise en main
A en croire ce reporter, “les voies du pouvoir sont impénétrables”. Cependant, plusieurs éléments suggèrent que le clan présidentiel a commencé à préparer la prochaine échéance électorale. Mi-septembre, Abdelaziz Bouteflika a procédé à un important remaniement ministériel, limogeant dix ministres. “Il a absolument tout verrouillé”, nous explique le politologue algérien Rachid Grim, qui précise que le président a pris soin de nommer “des proches” à la tête des ministères de la Justice et de l’Intérieur – ce dernier étant chargé de l’organisation des élections. “Le candidat du pouvoir, que ce soit Bouteflika ou celui qui aura été adoubé par lui, passera comme une lettre à la poste”, ajoute Rachid Grim.
Une autre décision présidentielle agite le landerneau politico-médiatique algérien : la restructuration du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), souvent considéré comme le réel détenteur du pouvoir en Algérie. Selon la presse, Abdelaziz Bouteflika a récemment nommé de nouveaux responsables à la tête de deux importantes directions de ce département. Il a également placé trois services névralgiques de l’armée, auparavant chapeautés par le DRS, sous l'autorité directe du chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, un proche du président, promu vice-ministre de la Défense à l’occasion du remaniement ministériel. Cette restructuration concerne notamment le service central de la police judiciaire de l’armée, laquelle a été à l’origine d’enquêtes pour corruption qui ont éclaboussé notamment le groupe pétrolier Sonatrach et l’ex-ministre de l’Energie Chakib Khelil, un proche de Abdelaziz Bouteflika. Saïd Bouteflika, le frère du président, est soupçonné d’avoir trempé dans ces scandales… Bataille au sommet
Pour certains analystes, ces décisions présidentielles visent donc essentiellement à réduire l’influence des services du renseignement et à mettre le clan Bouteflika à l’abri. Il y aurait donc une guerre au sommet du pouvoir entre ce clan et le DRS – un conflit dans lequel le président aurait repris la main. Cela dit, “il est difficile de croire que, d’un revers de main, le président puisse écarter des hauts gradés du DRS sans un accord préalable entre les différents centres du pouvoir”, tempère le journaliste Hacen Ouali. En vérité, il est quasi impossible d’en avoir le cœur net, et de savoir qui dirige vraiment l’Algérie. “C’est un des systèmes politiques les plus complexes au monde, le pouvoir s’exerce de manière opaque, dans l’ombre. C’est un pouvoir informel”, souligne Hacen Ouali. Pour le politologue Mohamed Hachemaoui, c’est le DRS qui tire les ficelles. “Ce gigantesque remaniement et le prétendu démembrement du DRS ne sont qu’une mise en scène. Il n’est pas dans l’intérêt du DRS d’apparaître au grand jour comme le détenteur des clés du pouvoir”, a-t-il expliqué au quotidien français La Croix. Le politologue Rachid Tlemçani, interrogé par TelQuel, estime quant à lui qu’“il y a une certaine division du travail entre le DRS et la présidence. Certains dossiers sont gérés par le DRS, les autres par la présidence. Et les deux sont d’accord dans le sens où ils sont contre toute ouverture du système politique algérien”. Au bord de l’explosion
En attendant, et pendant que les différentes strates du pouvoir se partagent la rente gazière et pétrolière, “la situation sociale est explosive”, nous indique Hacen Ouali, du journal El Watan. “Il y a des mouvements sociaux tout au long de l’année, dans des domaines comme l’éducation ou la santé. Il y a un chômage endémique, une crise du logement. L’Algérie est un Etat riche, mais tout son argent est géré dans l’opacité et sans rendre de comptes, alors que des sommes faramineuses sont dilapidées. La corruption est à l’échelle industrielle.” Une partie de la population vit dans la pauvreté, la misère et l’exclusion. “La situation est intenable pour beaucoup, poursuit le journaliste. La réalité des choses est déprimante, le désespoir gagne de nombreux Algériens. Le traumatisme de la guerre civile est encore présent et il tétanise, paralyse la société. Mais en même temps, il y a des poches de résistance. Ça changera, c’est le sens de l’histoire, mais on ne sait pas quand ni comment. Une explosion sociale peut survenir d’un jour à l’autre.” Ça craint…
Claire Rivière