Dans le village de Sellam, la grande majorité des familles vivent grâce trafic d'essence, estime un vieil immigré originaire de Maghnia et qui vit presque dans l’isolement, au milieu des maisons-dépôts de carburants. Des habitations nouvellement construites et dont la plupart sont encore inachevées.
Le manque cruel de développement de la région fait que les jeunes se retrouvent attirés, dès l’adolescence, par cette activité, soutient Abddjalil, la cinquantaine, assis sur le capot de sa R25, grenat, stationnée près de la maison. « Vous croyez qu’on le fait par plaisir ! La vie des gens ici dépend parfois d’une goutte de mazout », tonne-t-il. L’homme qui travaille dans le domaine depuis des années se retrouve en chômage technique avec les nouvelles restrictions. « Regardez autour de vous, il n’y a ni entreprise, ni usine, ni agriculture ». Les jeunes n’ont pas d’autres alternatives dans cette région, selon lui. « Les gamins ne grandissent pas devant des centres de formation ou des lieux de loisirs », dit-il en regardant son fils, la quinzaine. Abdeldjalil assure être prêt à céder sa voiture gratuitement s’il trouve un emploi. « Ils veulent mettre fin à cette activité. Très bien. Mais quelle alternative nous offrent-ils ? », s’interroge-t-il
Partout, dans les régions frontalières, Hallabas et trafiquants tiennent le même discours. À 33 km de Sellam et à moins de neuf des frontières, au village de Ouled Keddour, à Maghnia, Ahmed, 33 ans, loue un hangar où des poules côtoient une bonne dizaine de mulets et vivent au milieu de jerricanes. À l’intérieur, l’odeur d’étable et celle de carburant rendent l’air presque irrespirable. Habits, douze jerricanes de mazout (25 litres chacune) et bêtes, tout est prêt pour la traversée, prévue dans la soirée après le f’tour, vers le Maroc via des pistes loin du poste-frontière avec trois ou quatre autres personnes.
L’interférence des réseaux téléphoniques, liée au débordement de couverture des opérateurs des deux côtés de la frontière, complique les communications. Pointé devant son hangar, il tente encore de collecter plus de carburant. Le jerricane de mazout qu’il achète à 1 500 DA des Hallabas, il le revend à 1 800 DA de l’autre côté de la frontière. Le jerricane d’essence est à 2 000 DA et il est revendu à 2 800 DA, selon lui. La présence des gardes-frontières ne le dissuade pas. Tout a un prix, croit-il savoir. « Ils nous connaissent. Et puis, on ne traverse pas gratuitement, on donne 400 DA par mulet à l’aller et au retour ! », lance-t-il un tantinet méprisant. Il devient plus craintif quand il s’agit d’emmener des étrangers avec lui. « Vous êtes une femme et ils ne vous connaissent pas. Ils vont se demander pourquoi on vous ramène avec nous et cela peut nous créer des problèmes », justifie-t-il. Marié et père de trois enfants, lui aussi souhaite changer de métier. « Trouvez-moi du travail. J’abandonnerai ce que je fais immédiatement », affirme-t-il.
À Maghenia, à Dar El Assa, Ghazaouat, les Hallabas jurent qu’ils ne se tairont pas. Les discours des autorités sur les conséquences de ce trafic sur l’économie nationale les écœurent au vu des scandales en série impliquant parfois de hauts responsables de l’État. Des rumeurs portant sur des actions de protestation prévues après l’Aïd circulent depuis quelques jours dans ces régions. « Ils ne s’approchent pas de ceux qui volent des milliards. S’ils ne nous laissent pas travailler, il restera le maquis ! », menace Ahmed avant de s’en aller vers le centre de Maghnia où il habite, sur sa moto.
Des mesures dictées par des considérations politiques
Sur le chemin du retour vers Tlemcen, en fin de journée, les travailleurs de la station-service du croisement du km 5, un carrefour à la sortie de Maghnia, peinent à convaincre les automobilistes, venus faire le plein, de quitter les lieux. Ils s’enferment alors dans le bureau pour éviter les problèmes. « Il ne reste que le quota des corps de sécurité et celui des transporteurs mais ils ne veulent rien savoir », se plaint un pompiste. À travers les vitres fumées de la porte en bois, il regarde les gens qui commencent à s’impatienter. Exaspéré, il poursuit : « Je suis déjà parti à la centrale (de police) pour que les agents viennent les faire sortir, mais ils ne sont pas venus ». Quelques minutes plus tard, Mourad, le propriétaire de la station arrive. Il est de retour de la brigade de gendarmerie. « On m’a dit qu’ils n’avaient pas assez d’effectifs », regrette-t-il.
Un policier frappe à la porte. Il cherche du carburant. Le patron de la station lui demande de patienter pour ne pas susciter la colère des autres. « C’est l’enfer », lance le jeune pompiste. Outre les insultes, lui et ses collègues font parfois face à des tentatives d’agressions à cause des dernières restrictions.« On est obligé de se défendre », dit-il en montrant du doigt une barre de fer. Pour eux, les décisions prises par les autorités pour lutter contre ce phénomène compliquent davantage leur travail sans régler forcément le problème. Les Hallabas utilisent maintenant toute sorte de véhicules et même les motos, selon lui. « Nous avons reçu des instructions verbales pour ne pas donner de carburant aux R25 ou aux R21 mais c’est impossible de l’appliquer », dit le patron.
Un transporteur de matériaux de construction et son ami débarquent dans le bureau. Lui se trouve au chômage depuis quelques temps à cause des nouvelles mesures. Il ne mâche plus ses mots. « Il faut mettre des barbelés, creuser des tranchées et régler le problème de corruption pour mettre fin au trafic, il n’y a pas plus riche que les GGF en Algérie », estime-t-il. Ici, les gens sont convaincus que les dernières mesures ont été prises pour des considérations politiques liées à la détérioration des relations avec le Maroc. « Ce que nous coûte le Polisario est plus important que ce nous coûte ce trafic », lâche-t-il dépité.
Les chiffres exagérés des autorités
D’abord, la consommation de carburant à Tlemcen dépasse les normes mais elle n’est nullement plus importante qu’à Alger, selon eux. « Personnellement, je voudrais bien savoir comment ils ont fait pour calculer la quantité de carburant faisant objet de ce trafic ? », lance le patron. Pour cela, il faut au moins avoir le nombre des véhicules dans le département et une idée sur la consommation des automobilistes. « Naftal ne peut pas calculer la quantité du carburant détourné. L'entreprise distribue aux stations-services qui le vendent aux automobilistes mais sans pouvoir savoir ce que ces derniers en font par la suite », explique le gérant.
On s’amuse alors à faire des calculs dans ce petit bureau de la pompe à essence. Plus de 1,5 milliard de litres de carburants sont détournés vers l’étranger tous les ans, selon le ministre de l’Énergie et des Mines, Youcef Yousfi. Soit plus de quatre millions de litres détournés par jour. « Les camions de Naftal ont une capacité de 27.000 litres », précise le responsable de la station. Et pour transporter 1,5 million de litres par jour, il faut donc plus d’une cinquantaine de camions (Naftal) ou une armée de 10.000 mulets. Ces bêtes, seul moyen de transport des trafiquants aujourd’hui, peuvent transporter quatre, cinq jusqu’à six jerricanes et peuvent faire deux voyages la nuit ».
Les chiffres relatifs au trafic de carburants avancés par les autorités leur paraissent exagérés même s’ils savent très bien que les quantités détournées sont très importantes à travers les frontières ouest du pays. L’ampleur du phénomène est telle que des gens viennent des quatre coins du pays pour pratiquer cette activité, selon eux. Et les mesures prises par les autorités ne règlent toujours pas le problème. Au contraire, des automobilistes se retrouvent pénalisés à cause de l'incapacité de l'État à lutter efficacement contre le trafic de carburants...
Partout, dans les régions frontalières, Hallabas et trafiquants tiennent le même discours. À 33 km de Sellam et à moins de neuf des frontières, au village de Ouled Keddour, à Maghnia, Ahmed, 33 ans, loue un hangar où des poules côtoient une bonne dizaine de mulets et vivent au milieu de jerricanes. À l’intérieur, l’odeur d’étable et celle de carburant rendent l’air presque irrespirable. Habits, douze jerricanes de mazout (25 litres chacune) et bêtes, tout est prêt pour la traversée, prévue dans la soirée après le f’tour, vers le Maroc via des pistes loin du poste-frontière avec trois ou quatre autres personnes.
L’interférence des réseaux téléphoniques, liée au débordement de couverture des opérateurs des deux côtés de la frontière, complique les communications. Pointé devant son hangar, il tente encore de collecter plus de carburant. Le jerricane de mazout qu’il achète à 1 500 DA des Hallabas, il le revend à 1 800 DA de l’autre côté de la frontière. Le jerricane d’essence est à 2 000 DA et il est revendu à 2 800 DA, selon lui. La présence des gardes-frontières ne le dissuade pas. Tout a un prix, croit-il savoir. « Ils nous connaissent. Et puis, on ne traverse pas gratuitement, on donne 400 DA par mulet à l’aller et au retour ! », lance-t-il un tantinet méprisant. Il devient plus craintif quand il s’agit d’emmener des étrangers avec lui. « Vous êtes une femme et ils ne vous connaissent pas. Ils vont se demander pourquoi on vous ramène avec nous et cela peut nous créer des problèmes », justifie-t-il. Marié et père de trois enfants, lui aussi souhaite changer de métier. « Trouvez-moi du travail. J’abandonnerai ce que je fais immédiatement », affirme-t-il.
À Maghenia, à Dar El Assa, Ghazaouat, les Hallabas jurent qu’ils ne se tairont pas. Les discours des autorités sur les conséquences de ce trafic sur l’économie nationale les écœurent au vu des scandales en série impliquant parfois de hauts responsables de l’État. Des rumeurs portant sur des actions de protestation prévues après l’Aïd circulent depuis quelques jours dans ces régions. « Ils ne s’approchent pas de ceux qui volent des milliards. S’ils ne nous laissent pas travailler, il restera le maquis ! », menace Ahmed avant de s’en aller vers le centre de Maghnia où il habite, sur sa moto.
Des mesures dictées par des considérations politiques
Sur le chemin du retour vers Tlemcen, en fin de journée, les travailleurs de la station-service du croisement du km 5, un carrefour à la sortie de Maghnia, peinent à convaincre les automobilistes, venus faire le plein, de quitter les lieux. Ils s’enferment alors dans le bureau pour éviter les problèmes. « Il ne reste que le quota des corps de sécurité et celui des transporteurs mais ils ne veulent rien savoir », se plaint un pompiste. À travers les vitres fumées de la porte en bois, il regarde les gens qui commencent à s’impatienter. Exaspéré, il poursuit : « Je suis déjà parti à la centrale (de police) pour que les agents viennent les faire sortir, mais ils ne sont pas venus ». Quelques minutes plus tard, Mourad, le propriétaire de la station arrive. Il est de retour de la brigade de gendarmerie. « On m’a dit qu’ils n’avaient pas assez d’effectifs », regrette-t-il.
Un policier frappe à la porte. Il cherche du carburant. Le patron de la station lui demande de patienter pour ne pas susciter la colère des autres. « C’est l’enfer », lance le jeune pompiste. Outre les insultes, lui et ses collègues font parfois face à des tentatives d’agressions à cause des dernières restrictions.« On est obligé de se défendre », dit-il en montrant du doigt une barre de fer. Pour eux, les décisions prises par les autorités pour lutter contre ce phénomène compliquent davantage leur travail sans régler forcément le problème. Les Hallabas utilisent maintenant toute sorte de véhicules et même les motos, selon lui. « Nous avons reçu des instructions verbales pour ne pas donner de carburant aux R25 ou aux R21 mais c’est impossible de l’appliquer », dit le patron.
Un transporteur de matériaux de construction et son ami débarquent dans le bureau. Lui se trouve au chômage depuis quelques temps à cause des nouvelles mesures. Il ne mâche plus ses mots. « Il faut mettre des barbelés, creuser des tranchées et régler le problème de corruption pour mettre fin au trafic, il n’y a pas plus riche que les GGF en Algérie », estime-t-il. Ici, les gens sont convaincus que les dernières mesures ont été prises pour des considérations politiques liées à la détérioration des relations avec le Maroc. « Ce que nous coûte le Polisario est plus important que ce nous coûte ce trafic », lâche-t-il dépité.
Les chiffres exagérés des autorités
D’abord, la consommation de carburant à Tlemcen dépasse les normes mais elle n’est nullement plus importante qu’à Alger, selon eux. « Personnellement, je voudrais bien savoir comment ils ont fait pour calculer la quantité de carburant faisant objet de ce trafic ? », lance le patron. Pour cela, il faut au moins avoir le nombre des véhicules dans le département et une idée sur la consommation des automobilistes. « Naftal ne peut pas calculer la quantité du carburant détourné. L'entreprise distribue aux stations-services qui le vendent aux automobilistes mais sans pouvoir savoir ce que ces derniers en font par la suite », explique le gérant.
On s’amuse alors à faire des calculs dans ce petit bureau de la pompe à essence. Plus de 1,5 milliard de litres de carburants sont détournés vers l’étranger tous les ans, selon le ministre de l’Énergie et des Mines, Youcef Yousfi. Soit plus de quatre millions de litres détournés par jour. « Les camions de Naftal ont une capacité de 27.000 litres », précise le responsable de la station. Et pour transporter 1,5 million de litres par jour, il faut donc plus d’une cinquantaine de camions (Naftal) ou une armée de 10.000 mulets. Ces bêtes, seul moyen de transport des trafiquants aujourd’hui, peuvent transporter quatre, cinq jusqu’à six jerricanes et peuvent faire deux voyages la nuit ».
Les chiffres relatifs au trafic de carburants avancés par les autorités leur paraissent exagérés même s’ils savent très bien que les quantités détournées sont très importantes à travers les frontières ouest du pays. L’ampleur du phénomène est telle que des gens viennent des quatre coins du pays pour pratiquer cette activité, selon eux. Et les mesures prises par les autorités ne règlent toujours pas le problème. Au contraire, des automobilistes se retrouvent pénalisés à cause de l'incapacité de l'État à lutter efficacement contre le trafic de carburants...