Le 7e Art sous contrôle policier. Ce n’est pas de la science fiction. C’est, désormais, la nouvelle dérive à laquelle risquent d’être confrontés les cinéastes algériens. Contrôler les salles de cinéma et le contenu des scènes de films projetés, telle est, visiblement, la nouvelle mission que la police algérienne s’est fixée sans que personne n’ait le moindre droit de regard.
En Algérie, les policiers doivent surveiller tout. C’est ce qu’on ne cesse pas de leur apprendre dès leurs premiers pas dans un commissariat. Ils sont, en plus, gracieusement payés pour cela. Tout contrôler y compris la virginité des filles et maintenant les films que regardent les Algériens dans ces salles obscures, le dernier bastion de la résistance imaginaire face au régime de la pensée unique. Lundi, le directeur de la filmothèque Zinet, située à l’office de Riadh El Feth à Alger, a eu la désagréable surprise de recevoir des policiers venus l’interroger au sujet de deux films projetés la veille dans cette salle. Des films qui, pourtant autorisés à la projection par le ministère de la Culture, dérangent nos protecteurs. Ces derniers, en dépit de l’ampleur grandissante de la délinquance dans nos rues, trouvent le temps nécessaire pour enquêter sur des fictions cinématographiques ! C’est l’actrice Adila Bendimerad qui a révélé cette grave affaire sur son compte Facebook. La comédienne a été témoin de ce spectacle désolant lequel prouve une nouvelle fois que l’Etat policier en Algérie pousse ses tentacules jusqu’à l’extrême. Son obsession sécuritaire engendre les pires angoisses pour justifier régulièrement l’existence de ce dispositif policier qui cerne les Algériens partout où ils se déplacent. Sur les routes, dans les villes, les campagnes, les plages, les centres de divertissement, les places publiques, les jardins publics et maintenant les salles de cinéma, la « sécuritocratie » impose ses lois sous tous les cieux algériens.
Il va de soi que la sécurité, l’ordre public et la tranquillité des citoyens est une nécessité impérieuse qui ne fait l’objet d’aucun débat. Mais aucune cause ne peut permettre à des policiers d’interroger les gens du cinéma pour savoir si tel ou tel film contient des paroles qui insultent la nation, le Président de la République ou le drapeau de l’Algérie. Cela ressemble étrangement à l’Inquisition. Une pratique autoritaire qui ne devrait pas avoir de place en Algérie, un pays fier de sa jeunesse en quête permanente de créativité. Faut-il maintenant soumettre à un interrogatoire policier tout Algérien qui ose imaginer une fiction et raconter une histoire pour vérifier s’il a dépassé une quelconque ligne rouge ? La question se pose en des termes très sérieux à la suite de cet incident survenu dans des circonstances encore floues. Pour l’heure, on sait juste que l’une des scènes du film « Mollement le samedi matin », réalisé par la jeune cinéaste Sofia Djama, aurait déplu à nos policiers. Cette fiction qui retrace le vécu d’une fille victime de viol montre dans un chapitre comment un commissaire de police a été insensible aux malheurs de la victime en refusant de prendre en considération sa plainte. Une situation, malheureusement, qui été vérifiée dans bien des cas où des filles violées sont accusées par nos policiers d’avoir « provoqué les pulsions sexuelles de leurs bourreaux ». Mais la vérité blesse. Sauf qu’en Algérie, c’est une infraction de toucher à la crédibilité de la police. Celle-ci devient de plus en plus un corps sacré auquel on doit respect et soumission. Même dans nos imaginaires fantaisistes, on ne doit pas attenter à son image. L’art, le cinéma, la chanson raï, peu importe, on ne touche pas à notre police. Sinon, celle-ci viendra vous chercher du fond de votre pénombre. Vous êtes donc avertis…