Quarante jours après l'hospitalisation du président Abdelaziz Bouteflika, la vie politique algérienne, habituellement très prévisible, est en plein désarroi.
L'absence du président durant la visite du puissant premier ministre turc, cette semaine, a ravivé les questions sur son état de santé et l'avenir du pays. En l'absence d'Abdelaziz Bouteflika, hospitalisé en France, les lois ne sont pas promulguées et des réformes importantes ne sont pas mises en application.
Les spéculations sur l'état de santé du président, qui a souffert d'un «petit accident vasculaire cérébral» le 27 avril avant de disparaître à Paris pour des traitements, s'étaient apaisées dans les dernières semaines, jusqu'à ce que des journaux proches de la présidence annoncent que M. Bouteflika serait présent lors de la visite du premier ministre turc.
Recep Tayyip Erdogan est arrivé mardi et il est reparti mercredi, et le président Bouteflika, âgé de 76 ans, n'a été vu nulle part durant la visite. Plusieurs se demandent maintenant s'il sera en mesure d'achever son mandat actuel, voire de faire campagne pour un quatrième mandat.
En l'absence de M. Bouteflika, la machine gouvernementale est pratiquement paralysée, une grande partie du pouvoir est concentrée entre les mains du président et de certains généraux.
«Le système dépend à plusieurs égards de l'homme qui se trouve au sommet, et quand il n'est pas là, il ne fonctionne pas avec la même efficacité et la même confiance, alors beaucoup de dossiers restent en suspens en attendant son retour», explique William Lawrence, analyste pour l'Afrique du Nord auprès de l'International Crisis Group.
Toutes les nouvelles lois doivent être débattues et amendées par le cabinet présidentiel avant d'être inévitablement approuvées par l'Assemblée nationale, mais le cabinet ne s'est pas réuni depuis décembre.
La loi budgétaire devrait déjà avoir été approuvée et entrer en vigueur le 5 juillet, mais elle est gelée. La nouvelle loi sur l'audiovisuel, qui doit permettre une réforme très attendue des médias, est également paralysée.
Une commission avait été mise sur pied en mars pour amender la Constitution avant l'élection présidentielle d'avril 2014, mais elle a cessé de se réunir.
La raison qui explique l'absence prolongée du président et le manque de transparence des autorités algériennes sur sa situation est qu'il est dans un état très grave, estime Chafiq Mesbah, un colonel à la retraite des services de renseignement algériens devenu analyste.
«J'ai des informations provenant de hauts responsables français selon lesquelles le président Bouteflika ne reprendra pas ses fonctions, même s'il revient au pays», a-t-il dit lors d'une entrevue avec l'Associated Press.
L’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika préoccupe les Algériens qui préparent désormais la succession de leur président. Trois scénarios sont en vogue. L’un est impossible, le second souhaitable, mais peu probable. Il reste le troisième, un scénario algérien, pour préserver le statuquo.
L’Algérie s’apprête à glisser dans sa traditionnelle périodede léthargie de l’été. Une sieste de trois mois, jusqu’à la rentrée. Tout le pays va fonctionner au ralenti, sous le double effet des vacances d’été et du Ramadhan. On parlera de quelques sujets, comme les résultats des examens, les soucis causés par les inscriptions universitaires, les traditionnelles nominations au sein de l’armée, à l’occasion du 5 juillet et le prix pendant le Ramadhan. Ensuite, il faudra attendre septembre pour que l’Algérie revienne à la vie.
Mais le pays ne dormira que d’un œil cet été. Il continuera de guetter, à chaque instant, un signe indiquant une évolution de l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika, un indice pouvant signifier un retour imminent du chef de l’Etat ou montrant, à l’inverse, que son absence risque de se prolonger. Le feuilleton animera ainsi l’été algérien, avec ses rumeurs, ses fausses informations,ses révélations hasardeuses et ses analyses approximatives.
Le décor se trouve ainsi planté pour une période comme en a souvent vécu l’Algérie, une période dominée par les bruissements des coulisses, l’agitation des hommes de l’ombre ; une période où tout parait possible, alors que tout est bloqué, verrouillé. On peut tout dire, tout envisager, alors que rien de concret ne se fait. L’état de santé de M. Bouteflika sera le sujet dominant de la vie politique durant cette période. D’ores et déjà, des hommes politiques se sont ouvertement interrogés sur cette question, et ont évoqué l’éventualité d’une élection présidentielle anticipée. Des analystes, fiables ou non, commencent à dérouler les scénarios possibles pour la prochaine présidentielle.
Mais une question hante tout le monde: qui succèdera à M. Bouteflika ? Politologues et experts divergent, et avancent les noms de candidats réels, de ceux qu’on leur souffle, ou de ceux qu’ils souhaitent voir accéder aux affaires. La vedette du moment est M. Liamine Zeroual, bien que lui-même semble totalement étranger aux bruits provoqués autour de sa personne.
Pourtant, la succession de M. Bouteflika ne peut être envisagée que selon des scénarios très prévisibles. Au nombre de trois. Le premier, celui d’une élection libre, relève de l’impossible. L’Algérie n’est pas mûre pour organiser des élections libres, honnêtes, transparentes, avec une compétition loyale et totalement ouverte. L’administration ne sait pas être indépendante, les partis ne sont pas prêts, la société n’y croit pas. Trop de zones d’ombres entourent encore la gestion du passé. Et, surtout, le pouvoir n’y est pas prêt. Ce schéma est donc exclu. Même si le pouvoir le voulait, il ne saurait organiser une élection crédible.
Le second scénario est souhaitable, mais là encore, la situation ne semble pas encore mûre. Ce serait celui qui verrait le pouvoir réel organiser une transition négociée, avec un candidat chargé de mener le pays vers de nouveaux horizons, avec l’accord des principaux courants politiques du pays. Les uns parlent de transition négociée, d’autres évoquent un nouveau consensus national, mais la finalité est la même : il s’agit, pour le pouvoir en place, d’admettre que le système actuel est devenu un danger pour le pays, qu’il y a urgence à le changer, mais qu’il est préférable de le faire en douceur, de manière organisée, dans la mesure du possible, pour éviter de nouveaux affrontements et de nouveaux drames.
Ce point de vue est dominant au sein élites dites libérales, et revendiqué par une partie de la classe politique. Le changement est même devenu une revendication centrale qui semble susciter l’adhésion d’une majorité des partis. Mais concrètement, la bureaucratie d’Etat et les intérêts gravitant autour du pouvoir y sont hostiles. Les forces de l’argent, notamment, sont hostiles au changement.
Ce qui amène tout ce monde à soutenir un troisième scénario, celui qui verrait le pouvoir choisir un nouveau Bouteflika, sous de nouveaux habits, mais qui sera chargé de mener la même politique. Avec si possible un peu plus d’efficacité, un peu moins de scandales, et une image un peu plus moderne. Les candidats ayant ce profil sont nombreux. Ils peuvent porter la barbe ou le costume-cravate, parler en arabe ou en français, revendiquer le berbère comme langue nationale ou plaider pour de nouvelles règles économiques, mais ils ont un point commun : ils promettront au pouvoir de préserver le statuquo actuel, tout en améliorant l’habillage. Dans ce cas de figure, le nom du candidat importe peu. Sa politique sera la même : beaucoup de discours, beaucoup de promesses, mais peu de résultats. Ahmed Ouyahia, Ahmed Benbitour, Abdelaziz Belkhadem, Ali Benflis et Abdelmalek Sellal ont tous été chefs de gouvernement.
Ils ont été dans l’incapacité totale de transformer l’économie, d’influer sur la société, ou de bâtir des institutions viables. Ils ont géré le statuquo. Ils sont donc tous parfaitement qualifiés pour jouer ce rôle. Chacun s’entre eux essaiera donc de faire valoir les atouts dont il dispose : l’un sera mieux apprécié par la bureaucratie, l’autre bénéficiera de l’appui des islamistes, un troisième aura une image plus lisse auprès de l’opinion, le quatrième bénéficiera des faveurs des forces de l’argent, etc. Mais la finalité sera la même : donner à l’Algérie l’illusion qu’il est possible de gérer le pays avec le même système.