Ils sont à première vue différents voire opposés en tout. Ils appartiennent pourtant au même milieu -au sens maffieux du terme-, cultivent les mêmes pratiques, aspirent au même destin et, pour l’heure, subissent la même fin.
Belkhadem et Ouyahia sont deux symptômes emblématiques de la maladie algérienne. Certes, le premier a essayé de défendre ses positions jusqu’au bout et le second a abdiqué en rase campagne aux premières attaques ; l’un s’est contenté de reprendre avec zèle les slogans, souvent contradictoires, des « décideurs » alors que l’autre a eu la prétention de porter et d’enraciner le projet islamiste. Mais ces nuances n’altèrent en rien la similitude de leurs recrutements et promotions et le parallélisme de leurs parcours. Arrivés au pouvoir par la cooptation, les deux ont fini, constatant en cours de route la faiblesse et les limites d’un système qui les a fabriqués, par se laisser gagner par des ambitions auxquelles ni leur tempérament ni leur formation d’origine ne les prédisposaient. Ouyahia et Belkhadem ont été recrutés, couvés, promus et éliminés par les méthodes « malgaches » propres au système algérien. Le sort qui leur est fait n’est en rien annonciateur d’évolutions majeures sur la scène nationale, il est en revanche utile à une meilleure compréhension des mécanismes qui broient l’Algérie depuis un demi-siècle.Les deux aigrefins avaient été captés très jeunes par les services spéciaux. L’ex-secrétaire général du RND fut enrôlé avant de quitter l’école nationale d’administration, son homologue du FLN fut repéré à l’occasion d’un déplacement de Boumediene à Tiaret où il exerçait comme maître d’internat au lycée de la ville. Offrant les garanties de la docilité et de la disponibilité, ils furent tous les deux placés à la présidence de la République où on les fera mijoter avant de les propulser aux plus hautes charges de l’Etat, les deux hommes ayant occupé, entre autres responsabilités, les fonctions de ministre des affaires étrangères et de premier ministre.
Leur disgrâce participe du pur catalogue stalinien. Ceux qui savent décoder la kremlinologie algérienne avaient compris que l’exhumation d’un obscur frère chargé de révéler l’indignité familiale d’Ouyahia annonçait la fin d’une carrière construite par la méthode de l’aseptisation des profils encombrants et, au besoin, l’invention de légendes pour des cursus sans relief. Avec une remarquable symétrie, le lâchage d’un doberman comme Saidanni - ubuesque président de l’assemblée nationale alors même qu’il traînait une demi-douzaine de dossiers plus ou moins glauques par devant la justice avant de disparaître de la scène publique - sorti spécialement des placards pour l’occasion, attestait de l’exclusion de la proximité du cercle présidentiel qui fut l’ultime bouclier de celui qui a survécu à toutes les crises du régime depuis une trentaine d’années.
On entend les gloussements de plaisir des favorites du sérail qui se cherchent déjà de nouveaux tuteurs et qui servaient encore du monsieur le premier ministre à l’un et l’autre la veille de leur éviction. Mais il n’y a pas que ces potiches pour confondre les effets et les causes d’une opération qui tient plus d’un lifting du pouvoir que d’une mise en adéquation des institutions avec les dramatiques dérives et les retards de développement abyssaux qui démembrent chaque jour un peu plus la maison Algérie. On a déjà entendu des acteurs se réclamant de l’alternative démocratique expliquer que le départ de Belkhadem était le prélude à l’abandon de la tentation islamo-populiste avec son cortège de scandales financiers toujours étouffés, de chaises musicales qui font valser les seconds couteaux et les enfumages électoraux qui régénèrent et rééquilibrent des clientèles prédatrices.
Récurrentes élucubrations où s’égarent bien des élites algériennes depuis 1962 pour ne pas avoir à assumer leur devoir de rupture au côté de leur peuple qui, hier comme aujourd’hui, se débat dans la rue ou les maquis, faute de voir ses revendications sociales ou politiques encadrées par ceux dont c’est le rôle de construire les alternatives.
Oui Ouyahia, pour complaire à ses maîtres, a exécuté toutes les « sales besognes », sacrifiant les cadres du pays et brouillant, par ses revirements et son opportunisme, la rationalité politique en Algérie ; bien sûr que Belkhadem fut le fossoyeur de la condition féminine dès 1984 ; qui a oublié ses accointances avec l’ambassade d’Iran au moment où le destin algérien ne tenait qu’à un fil ?...
L’un et l’autre auraient-ils pu agir ainsi et à un tel niveau si le choix d’un arabo-islamisme sectaire et violent qui enferme l’Algérien dans un autisme politique neutralisant intelligence et solidarité n’avait pas été délibérément retenu comme matrice devant diluer les ressources et les énergies de la nation ? Avec un ordre politique transparent et sous contrôle citoyen, on peut raisonnablement estimer que l’un pouvait finir sa vie professionnelle comme surveillant général de lycée et l’autre en tant que chef de département dans un ministère après avoir gravi les échelons de la haute administration.
L’élimination – qui peut du reste ne pas être définitive - des deux comparses, qui se détestent copieusement, était inéluctable dans un système inamovible où les vrais responsables n’apparaissant jamais, les arquebusiers, jetés en première ligne dans un champ politique et social en tension perpétuelle, sont ceux qui s’usent le plus. Comme pour ces engins poussifs fuyant de partout, asphyxiant et assourdissant leur environnement, il arrive que des charges trop lourdes demandent le changement de quelques joints pour relancer la machine infernale. Les départs d’Ouyahia et de Belkhadem, au-delà de l’anecdotique concurrence qui les opposait, ne sont pas de bons signaux pour l’avenir algérien. Ils sont au contraire des indicateurs d’un entêtement à vouloir restaurer un système politique ballotté par ses échecs internes, ses naufrages diplomatiques et les pressions internationales.
Le DRS a lâché Ouyahia, le clan Boutaflika a sacrifié Belkhadem. Le but est de réaménager les canaux de la distribution de la rente, c’est-à-dire recomposer les rapports de force internes et pérenniser la culture du clan d’Oujda fondée sur l’opacité, la violence politique et sociale et la désinformation ; culture qui a produit et les services spéciaux et Bouteflika.
S’il faut chercher quelques explications aux intentions immédiates des maîtres du pays, il suffit de revisiter les évènements vécus par la nation ces dix derniers mois : élections législatives et locales plus que jamais soumises aux manipulations maison, remaniement d’un gouvernement qui intègre au moins six individus qui sont des clients effectifs ou potentiels de la justice, réforme du système audio-visuel remise aux calendes grecques...La direction et les objectifs ne laissent place à aucun doute.
Pas plus que ses autres congénères qui affrontent aujourd’hui leur peuple dans le sang, le système algérien n‘est capable de se réformer de l’intérieur.
C’est une chose de ne pas pouvoir promettre la liberté à ses concitoyens, c’en est une autre de se fourvoyer dans de coupables spéculations qui postulent des solutions dont on sait pertinemment qu’elles ne viendront jamais des labyrinthes claniques.
Rachid Bali