La prise d'otages contre le site pétrolier de Tiguentourine est la conséquence de la faiblesse de l'Etat dans le sud de l'Algérie explique Salma Belaala, spécialiste de la mouvance islamiste au Sahel.
Trente-sept étrangers et un Algérien ont été tués lors de l'attaque et la prise d'otages menées sur un site gazier du sud-est de l'Algérie par un commando islamiste, tandis que cinq étrangers sont toujours portés disparus. Les explications de Salma Belaala, enseignante à l'Université de Warwick au Royaume-Uni.Que sait-on du groupe auteur de la prise d'otages?
Le chef de ce groupe, Moktar Belmokhtar, est un ancien émir du GIA, installé dans l'extrême sud de l'Algérie depuis 1994, qui a émergé sur la scène internationale récemment. Ce type de groupe est en déplacement constant. Il a des connexions au Niger, en Libye, en Mauritanie et au Mali. Le coeur du groupe, son noyau actif n'est composé que de quelques dizaines d'hommes; mais il s'appuie sur une nébuleuse beaucoup plus vaste, qui comprend notamment les réseaux de contrebandes.
On n'avait jamais assisté à ce type d'attaque contre des sites pétroliers par le passé, y compris pendant la "décennie noire" (1992-2002). Comment l'expliquer?
Il y a eu quelques tentatives d'attaques, des explosions, mais jamais de tentative de prise d'otages. Les GIA étaient, à l'époque de la guerre civile, surtout implantés dans le nord du pays. Le sud de l'Algérie, était alors la région la plus calme du pays. Aujourd'hui, les choses se sont inversées. Il y a des problèmes sociaux et identitaires au sein de nombreuses communautés sahariennes. L'administration étatique est, dans de nombreux départements de l'extrême sud, gangrenée par la corruption. Il y a eu par exemple une explosion de la criminalité et des trafics en tous genres, ces dernières années, en particulier de la contrebande de drogue. La chute du régime libyen a eu un effet d'accélérateur sur cette désintégration. L'armée ne peut avoir un contrôle total du Sahara. Elle ne contrôle vraiment que les grandes villes du Nord du pays.
Comment expliquer l'absence de Bouteflika lors de cette crise?
Je pense que c'est délibéré. Il laisse ses ministres s'expliquer en son nom et l'armée prendre la responsabilité de la gestion de l'affaire, afin de ne pas être éclaboussé. Quant à l'opinion algérienne, elle a été complètement tenue à l'écart de cette crise. La société civile n'a pas eu voix au chapitre; aucun parti n'a fait de déclaration officielle. La presse, qui a très peu de marge de manoeuvre depuis le verrouillage opéré en 2004-2005, est restée sur la réserve. Les dirigeants algériens n'ont eu aucun mot pour les victimes algériennes, ce qui montre le peu de cas qu'ils font de leur concitoyens.
Ce type d'attaque peut-il se reproduire?
A court terme, l'attaque de Tiguentourine constitue un revers pour les groupes terroristes. Ils comptaient sur le retournement des opinions publiques occidentales, mais cela n'a pas été le cas. Et tous les gouvernements étrangers ont apporté leur soutien aux autorités algériennes. Pourtant, rien n'assure que les services de sécurité seront capables d'éviter une répétition de ce genre d'opération. La faiblesse du contrôle des Etats de la région sahélienne, pas seulement de l'Etat algérien, mais aussi des Etats voisins -Libye, Tunisie, Mali, Niger et Mauritanie- ne permet pas d'être optimiste. Cette région est incontrôlable à 100%. Il faut avoir à l'esprit qu'une simple commune de la wilaya d'Illizi (dont fait partie In Aménas) fait 7 fois la taille de la Belgique.
Par Catherine Gouëset