ALGÉRIE - La récente prise d'otage sanglante d'In Amenas en Algérie a levé le voile sur la réalité du régime d'Abdelaziz Bouteflika. Il ne s'agit pas de commenter l'intervention de l'armée et de ses forces spéciales.
La complexité d'une telle opération et son issue dramatique, pour plusieurs dizaines d'otages, devront être analysés, avec froideur, par des spécialistes des questions de sécurité et d'intervention de ce type. Il appartient néanmoins aux observateurs et aux éditorialistes de revenir sur ce pouvoir algérien qui se targue, depuis une quinzaine d'années, d'avoir vaincu le terrorisme islamiste comme il nous appartient de tordre le coup à une certaine propagande diffusée largement par Bouteflika et ses affidés.Primo. Le terrorisme a été vaincu, d'abord et avant tout, par une société algérienne qui, durant les années 1990, a refusé, dans sa majorité, de basculer dans le fanatisme. Une autre position de sa part aurait fait tomber le régime en quelques semaines. Néanmoins, ce refus de l'obscurantisme n'a pas été accompagné par un régime antidémocratique qui a toujours fait de l'islam politique sinon un prétexte, pour asseoir un semblant de légitimité, un allié objectif dont l'idéologie moyen-âgeuse sert de ciment à un pouvoir archaïque, incapable de proposer un projet de société moderne à une société qu'on ne cesse d'abrutir à travers un programme scolaire dépassé et une politique culturelle qui puise son essence non pas dans les valeurs universelles, mais dans la haine, le nationalisme et l'intégrisme. Abdelaziz Bouteflika qui a favorisé les corrompus et combattu les démocrates s'est évertué à sceller une "réconciliation nationale" avec des criminels intégristes et des égorgeurs, non sans passer leurs victimes par "pertes et profits exceptionnels".
Cette politique dont l'indécence n'a d'égale que l'incapacité du régime algérien à accéder aux attentes légitimes de la société, a eu pour conséquence immédiate la banalisation de la violence et la légitimation du djihadisme. Le tout accompagné par une marginalisation des démocrates laïques et leur diabolisation. Il n'est donc guère étonnant de voir que les tenants de la violence qui s'expriment au nom de l'islam sont toujours capables de recruter, aujourd'hui encore, dans une jeunesse livrée à elle-même depuis un demi-siècle.
Secundo. Comment peut-on expliquer qu'un État qui subit, depuis 21 ans, la violence islamiste puisse, à ce point, se désengager de la lutte antiterroriste, démobilisant ses propres troupes et services de sécurité au point de les confiner dans un rôle strictement défensif. Les troupes spéciales algériennes sont désormais réduites quasiment à un rôle de gardiennage des sites sensibles. Les apologistes du régime pourraient sursauter, mais demandons-leur combien d'opérations antiterroristes ont été menées au cours de ces dernières années, pour aller traquer les bandes criminelles d'Abou Zeïd, ceux de Mokhtar Belmokhtar et des tueurs d'Aqmi? Si le territoire algérien est devenu le bateau amiral d'Al-Qaïda dans la région, ce n'est pas à cause de l'immensité du Sahara, mais en raison de l'absence manifeste de volonté politique. Une sorte de modus vivendi qui a permis à des sanguinaires comme Belmokhtar de prospérer tranquillement. En vérité, le régime algérien, celui de Bouteflika et celui de quelques généraux presque octogénaires, a besoin d'un "minimum" de terrorisme, celui qui ne gênerait guère leurs intérêts immédiats et personnels, pour pouvoir justifier cet indécent refus de toute alternance politique. En d'autres termes, ils laissent croire à leur opinion nationale et davantage aux puissances occidentales qu'après eux, ce serait un déluge islamiste et terroriste. C'est ce qui explique qu'un Bouteflika, ministre en 1962, président en 2013, pense encore à un nouveau mandat qui l'emmènerait sinon jusqu'à la tombe et ses funérailles nationales, à l'année 2019. C'est ce qui explique aussi les raisons pour lesquelles, une bonne partie des "décideurs" algériens était déjà aux affaires avant même l'indépendance du pays et l'est encore et toujours.
Tertio. Si ce qui est affirmé plus haut est faux. Si ce qui est écrit relèverait de la vue de l'esprit et de l'obsession d'un illuminé, excessif dans son jugement, comment pourrait-on expliquer qu'un site économique stratégique et sensible comme celui d'In Amenas, situé à quelques encablures du territoire libyen et de l'armement de Kadhafi, laissé à l'air libre et à la merci des groupes terroristes, comment ce site, dis-je, n'était pas mieux protégé? Au mieux, c'est l'illustration d'une flagrante incompétence. Au pire, du laxisme volontaire. Incompétence et/ou laxisme de l'indéboulonnable général Mohamed Mediène, plus connu sous le nom de Toufik, et de son DRS, le département de renseignement et sécurité, ces fameux services secrets algériens. Redoutables, ces services le sont, mais davantage pour verrouiller la société et anticiper des manifestations de démocrates que de faire face à des actions terroristes et de les prévenir. Redoutables, le DRS l'est désormais pour faire du petit espionnage et découvrir quel démocrate va écrire quel livre et quel journaliste va écrire quel article. Redoutable pour faire du chantage administratif aux voix discordantes et pour dénigrer tout opposant qui s'exprime. Désormais, nous savons que Toufik et ses services sont juste bons pour pérenniser un régime manquant cruellement de sérieux, mais ni lui ni le petit bonhomme qui lui sert de président ne sont capables de garantir l'épanouissement de la société algérienne ni même la sécurité de partenaires étrangers trop crédules et trop naïfs croyant sur parole la propagande d'un régime obsolète et corrompu.
L'opération d'In Amenas est un grave échec et une défaillance inexcusable. C'est un échec des services de renseignement algériens qui, à l'évidence, sont incapables de protéger, y compris les sites qui permettent aux caciques du régime de continuer à vivre de la rente pétrolière et gazière.
Cette affaire dramatique vient montrer une fois de plus que la politique du régime est suicidaire, car ces responsables, par leur aveuglement, sont en train de préparer la dislocation de l'État algérien. Mais n'est-ce pas leur objectif final ?