À en croire les responsables de la compagnie pétrolière australienne Pura Vida Energy, qui effectue actuellement une exploration dans les eaux profondes d’El Jadida, il y aurait bien du pétrole au Maroc. Mais, pour rester prudents, ils préfèrent parler de “potentiel pétrolier”.
Car les longues recherches effectuées pendant plusieurs mois sur ce gisement offshore révèlent des premières estimations chiffrées à 3,2 milliards de barils. C’est en effet la première fois dans l’histoire de la recherche pétrolière au Maroc qu’un chiffre aussi précis et aussi considérable est communiqué par une société étrangère pour évaluer le potentiel pétrolier d’une région. «Mais entre les estimations et la réalité, il y a un énorme fossé», tempère Mahmoud Zizi, patron d’un cabinet de conseil basé à Rabat, qui a accompagné plusieurs compagnies étrangères installées au Maroc.
Un investissement très risqué
À cela s’ajoute le coût exorbitant de l’investissement à mettre en oeuvre pour réaliser un bon forage. Pura Vida Energy annonce avoir besoin de 50 millions de dollars (environ 450 millions de dirhams) pour réaliser le forage d’El Jadida. Où trouvera-t-elle tous ces fonds? «D’autant que cet investissement est très risqué dans la mesure où le forage pétrolier peut se solder par un échec» précise un spécialiste.
En attendant, la compagnie australienne poursuit toujours ses recherches sur le site, auréolée par un nouveau contrat de forage qu’elle vient de signer avec l’Office national des hydrocarbures (Onhym). Le patron de cette société basée à Sidney, Damon Neaves, dans une déclaration certainement gênante pour le gouvernement marocain, faite en avril 2012, avait affirmé que «non seulement la zone offshore d’El Jadida est concernée par l’existence de grandes quantités de pétrole, mais toute la côte atlantique du Sahara présente un vrai potentiel de pétrole et de gaz naturel».
D’autant que «sous-explorée par rapport à la côte mauritanienne et ghanéenne, la côte du Sahara a cette particularité d’offrir une géologie favorable à la présence d’hydrocarbures liquides ou gazeux», expliquera M. Neaves. Une autre compagnie australienne, désireuse d’effectuer des recherches pétrolières au Maroc, a créé une filiale marocaine, Tangiers Petroleum, dans laquelle elle détient 75% et l’Etat 25%. Cette société a identifié en 2011 trois nouveaux bassins pétrolifères au large de Tarfaya, qui recèleraient un potentiel pétrolier de 875 millions de barils. Un chiffre bien inférieur à celui de la côte d’El Jadida. Mais toujours est-il que cette estimation confirme le potentiel de l’or noir dans les côtes sahariennes.
Le gaz n’est pas en reste. Les soussols marocains en renfermeraient en quantités importantes. C’est la conclusion à laquelle est arrivée la société australienne à capitaux américains Longreach Oil & Gaz, qui a annoncé en 2011 avoir découvert d’énormes quantités de gaz dans le gisement de Zag au large de Tarfaya. Son président, Bryan Bénitz, au lendemain de cette découverte, avait déclaré que «le site de Zag contient d’énormes potentialités gazières comme c’est le cas, non loin, chez le voisin algérien».
Énormes potentialités gazières
Des propos qui, plus tard, ont mis dans l’embarras les officiels marocains, à leur tête le tout nouveau ministre de l’Energie et des Mines, Fouad Douiri, qui s’est fendu récemment d’une déclaration on ne peut plus officielle: «Il n’y pas de pétrole ni de gaz au Maroc». «En tout cas, pas pour le moment», précise-t-il. Le cauchemar de Talsinnt, du nom de ce petit patelin dans la région de Ouarzazate où a été annoncée une découverte de pétrole en août 2000, est probablement présent dans les esprits. «Le gouvernement, en refusant de cautionner les annonces faites par les sociétés pétrolières étrangères et en s’abstenant de les confirmer, préférant dire qu’il n’y pas de pétrole au Maroc, ne fait que respecter sa position de prudence dans laquelle il veut désormais s’inscrire», explique un commentateur. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de pétrole dans notre pays.
Faiblesse des forages
Car comment expliquer tous ces contrats d’exploration pétrolière signés par l’Onhym avec 55 compagnies étrangères dont 4 majors mondiaux à savoir Shell, Total, Conoco-Philips et Eni? Comment expliquer aussi cet optimisme dont fait état l’Onhym lui-même en disant que «le Maroc est encore sous exploré et que la plupart des bassins existants disposent d’un énorme potentiel pour l’exploration»? Comme dit un célèbre adage populaire “il n’y a pas de fumée sans feu”. Il paraît, selon l’Onhym, que les raisons pour lesquelles l’or noir n’a pas encore jailli des sous-sols marocains sont à chercher dans le nombre extrêmement faible et très négligeable de forages réalisés par rapport à la surface couverte par les bassins pétrolifères. Pire encore: Des puits forés par certaines compagnies étrangères n’ont malheureusement pas atteint leurs objectifs, en raison de problèmes techniques.
Quant au matériel de forage détenu par l’Onhym, il est tout simplement dérisoire. Deux appareils de forage sont à la disposition de l’office: un permettant des forages à 1.800 mètres et un autre pour des forages plus profonds à 4.800 mètres. Pour un Maroc qui se rêve en pays pétrolier, ce matériel ne vaut vraiment pas cette ambition. Mais, au delà de l’élément technique et autres considérations liées aux risques d’échec pour les forages, les enjeux politiques d’une découverte du pétrole sont considérables. Voire décisifs pour l’avenir du Maroc. La découverte de pétrole signifie une indépendance énergétique du Maroc vis-à-vis de l’Algérie et d’autres pays producteurs. Elle signifie aussi des recettes supplémentaires et fortes pour financer les grands projets et le développement économique.
Entre espoir et crainte
D’autres, plus sceptiques, craignent en revanche un revirement de la situation sociale dans notre pays et l’apparition de gros lobbys auxquels profiterait en grande partie la manne pétrolière. Comme c’est le cas en Algérie, où les puissants généraux de l’armée font main basse sur le pétrole et le gaz algériens, laissant la population se débattre dans la misère et la précarité.
Voilà le double enjeu auquel est confronté le Maroc s’il se découvre une vocation pétrolière. C’est pourquoi ce mélange d’espoir et de crainte fait que le pétrole est une affaire trop importante et trop stratégique pour le Maroc, qui a pu réaliser des avancées économiques considérables sans l’or noir, objet dans d’autres pays de guerres et de chaos
Par Aïssa Amourag