L’ «autodéterminationite» algérienne n’est pas le fruit du hasard. Elle commande l’existence même du jeune, très jeune, Etat algérien. Alors que le Royaume du Maroc peut offrir aux yeux de l’histoire, bien sereinement, un Etat central, vieux de quatorze siècles, l’Algérie ne peut offrir qu’une guerre de libération larvée, dont les faits continuent à servir d’alibi à la dictature des généraux d’Alger. Le dogme de l’autodétermination se confond dans l’esprit des gouvernants d’Alger, avec la naissance même de l’Etat Algérien. Aucun pays, aucune nation du nom de l’Algérie, n’a existé sur la surface de la terre, avant que le référendum prôné par De Gaulle n’ait permis l’accouchement de la «République démocratique et populaire algérienne». Une histoire écrite en sang au seul bénéfice d’une camarilla mercantiliste.
D’abord le sang marocain versé à maintes reprises pour l’unique but de défendre nos frères algériens. La bataille d’Isly, révèle le sentiment marocain de l’unicité du destin algéro-marocain. Elle se déroula le 16 août 1844 à la frontière algéro-marocaine. Elle vit la victoire du Maréchal Bugeaud sur Moulay Abderrahmane, sultan du Maroc, qui soutenait Abdelkader. Le 6 août, Tanger avait été bombardée par des navires français commandés par Joinville. Il s’agissait d’intimider les Marocains, dont les troupes avançaient résolument vers la frontière algéro-marocaine.
Dans la nuit du 15 au 16 août, le gouverneur général d’Algérie, ayant réuni toutes ses forces ne s’élevant qu’à 11,000 hommes (Les Marocains étaient au nombre de 60.000), se porta sur le camp marocain établi à la position de Jorf Lakhdar, à peu de distance d’Oujda, sur la droite de l’Oued Isly, petit affluent de la Moulouia. Rappelons que Thomas Robert Bugeaud, marquis de La Piconnerie, duc d’Isly, maréchal de France, né à Limoges (France) le 15 octobre 1784, mort à Paris le 10 juin1849. Le général Bugeaud fut envoyé en Algérie le 6 juin 1836 avec la double mission de combattre Abd-el-Kader et de faire la paix avec lui.
Dans la bataille d’Isly, devant avoir affaire presque exclusivement à de la cavalerie, il avait formé de son infanterie, un grand losange, dont les faces se composaient elles-mêmes de petits carrés. La cavalerie était à l’intérieur de ce losange, qui marchait par un de ses angles dûment pourvu d’artillerie. Au point du jour, voyant s’avancer l’armée française, le Sultan lança contre elle toute la cavalerie marocaine, présentant une masse de vingt à vingt-cinq mille chevaux. Cette cohue ne parvint pas à forcer les lignes des tirailleurs français, et fut bientôt séparée en deux par les carrés qui s’avançaient dans la cavalerie. Le maréchal fit alors sortir sa cavalerie. Celle-ci se formant par échelons, chargea la cavalerie marocaine qui était à sa gauche, et la dispersa après avoir jeté sur le carreau plusieurs centaines de ses cavaliers. Le premier échelon, composé de six escadrons de spahis et commandé par le colonel Yousouf, ne voyant plus devant lui que le camp marocain encore tout dressé, s’y précipita. Onze pièces de canon, qui en couvraient le front de bandière firent feu une seule fois. Les artilleurs marocains n’eurent pas le temps de recharger. L’infanterie marocaine se dispersa dans des ravins où la cavalerie française ne pouvait la poursuivre, et gagna, par de longs détours, la route de Taza. Pendant que le premier échelon marchait sur le camp, le second, commandé par le colonel Morris, se porta sur la partie de la cavalerie marocaine qui était à sa droite. Le combat fut très acharné. Après cela, tout fut terminé. L’armée française se concentra au camp des Marocains, et bientôt se mit à la poursuite des soldats vaincus pour les empêcher de se rallier. Les «trophées» de la victoire de l’armée de Bugeaud furent onze pièces de canon, dix-huit drapeaux, toutes les tentes des Marocains, y compris celle de Sidi-Mohammed assez richement meublée, enfin, des approvisionnements de tout genre. Les pertes en hommes des marocains furent de huit cents morts.
La bataille d’Isly coûta aux Marocains, non seulement leurs morts, mais, avant tout, le début de la fin de leur indépendance. La France était convaincue que la mainmise sur l’Empire chérifien était devenue vitale pour la colonisation définitive de l’Algérie. Le Maroc subira durant toute la seconde moitié du XIXème siècle les pressions et les harcèlements les plus sournois de la part des puissances européennes et, plus cyniquement, de la part de la France. Nos frères algériens ont littéralement zappé cette partie de notre histoire commune. La guerre des sables de 1963, moins de deux ans après l’indépendance de nos voisins, atteste la première de ce mépris que l’establishment militaire algérien continuera à nous opposer jusqu’à ce jour. Plus tard, à Amgala, l’ALN, qui a oublié que sa Wilaya V se trouvait au Maroc et que le gros de ses armes lui parvenait à travers notre territoire, n’hésita point à faire couler le sang marocain. Aujourd’hui, les gouvernants d’Alger maintiennent sur leur territoire une bande d’aventuriers qui séquestrent des populations affamées et assoiffées. Juste pour damer le pion à un Royaume qui ne demande rien à personne sinon la paix chez lui et autour de ses frontières historiques. Le président Abdelaziz Bouteflika, semble tenir mordicus à ses envolées hégémoniques de la guerre froide. Les applaudissements de la fameuse cession de l’ONU de 1973 résonnent encore dans son tympan. Il ne veut pas d’un Maroc paisible et prospère à ses frontières. Il ne veut pas d’un Maghreb uni par un destin commun façonné par ses talents et sa jeunesse. Pourtant, l’actuel Président est plus marocain d’extraction qu’algérien. Sa naissance, sa jeunesse et sa formation, ne sont que marocaines.
Parcours d’un Oujdi
Né à Tlemcen, Ahmed Bouteflika émigra très jeune au Maroc. Il était marié à deux femmes : Rabia et Mansouria. Gérante de hammam de son état, cette dernière donna naissance à Oujda, le 2 mars 1937, à Abdelaziz, l’actuel Président algérien. Abdelaziz Bouteflika vécut et étudia à Oujda (Maroc) puis quitta l’école en 1950, pour rejoindre l’école Hassania de Scouts, créée par le prince héritier Moulay Hassan, futur Hassan II, avant de devenir moniteur. Il ne rentre en Algérie qu’après le cessez-le-feu de 1962. Entre temps, En 1956, l’Armée de libération nationale (ALN) ordonne à tous les étudiants algériens de rejoindre ses rangs. Abdelaziz Bouteflika rejoint l’Armée des frontières au Maroc à l’âge de 19 ans. Il fit son instruction militaire à l’École des cadres de l’ALN de Dar El Kebdani (Nador), puis il devint durant dix mois (1957-1958) «contrôleur» pour la direction de la Wilaya V. En 1958 il fut promu par Houari Boumédiène et devint son secrétaire particulier. À partir de 1962, alors qu’il n’avait que 25 ans, Bouteflika connaîtra plusieurs années de gloire à la tête du ministère de la jeunesse et du tourisme et surtout du département des affaires étrangères. Il gardera ce poste jusqu’au décès de Boumédiène. Bien qu’il ait été nommé ministre d’Etat par Chadli Benjdid, il ne tardera pas à quitter la scène politique dans un environnement qui lui était hostile. En effet, le 22 décembre 1981, Bouteflika est poursuivi pour «gestion occulte de devises au niveau du ministère des Affaires étrangères» (entre 1965 et 1978) par la Cour des comptes.
Dans son arrêt définitif du 8 août 1983, la Cour des comptes donnait son verdict: «M. Abdelaziz Bouteflika a pratiqué à des fins frauduleuses une opération non conforme aux dispositions légales et réglementaires, commettant de ce fait des infractions prévues et punies par l’ordonnance n° 66-10 du 21 juin 1966 et les articles 424 et 425 du Code pénal». La Cour des comptes évaluait à «plus de 6 milliards de centimes» (l’équivalent de 100 milliards de centimes actuels) le montant dont Bouteflika restait redevable auprès du Trésor. «Agissant alors en qualité de ministre des Affaires étrangères, M. Abdelaziz Bouteflika avait successivement ordonné aux chefs de missions diplomatiques et consulaires, par instructions n° 20 du 14 février 1966, n° 33 du 1er décembre 1966, n° 36 du 1er mai 1967, n° 68 du 1er octobre 1969 : en 1966, de conserver au niveau des postes les soldes disponibles qui devront faire l’objet d’instructions ultérieures particulières ; en 1967, d’ouvrir des comptes particuliers devant abriter ces disponibilités ; en 1969, enfin, de procéder au transfert des reliquats disponibles vers deux comptes bancaires ouverts auprès de la Société des banques suisses, les reliquats des exercices ultérieurs devant désormais avoir la même destination». (El Moudjahid du 9 août 1983.)
La Cour observait que «le gel de cette importante trésorerie, qui a notamment profité à un établissement bancaire étranger, n’a donc obéi à aucun texte législatif ou réglementaire et sa gestion échappait totalement au contrôle du Trésor».
Pour sa défense, Bouteflika invoquera aux magistrats de la Cour des comptes, la construction d’un nouveau siège du ministère des Affaires étrangères, pour lequel il destinerait la trésorerie amassée sur les comptes suisses. la réponse de la cour : «Ce motif fallacieux ne peut être pris en considération, sachant qu’une opération d’investissement obéit à des règles bien précises, qu’aucun ordonnateur ne peut ignorer et que l’éventuelle construction d’un nouveau siège du ministère des Affaires étrangères, doit être financée par des crédits normalement inscrits au budget de l’État». (El Moudjahid du 9 août 1983).
Volte face
Bouteflika ne remboursera jamais ses dettes, il sera même acquitté. En revanche, ses collaborateurs Senouci et Boudjakdji seront emprisonnés. Bouteflika, lui, s’en est allé faire des affaires entre le Golfe, l’Europe et les USA. En décembre 1998, il fait part de sa décision de se présenter, en qualité de candidat «indépendant» à l’élection présidentielle anticipée. Bouteflika est élu président le 15 avril 1999 lors d’un scrutin au cours duquel ses adversaires se retirent, dénonçant les conditions d’organisation du vote. Il est réélu président en 2004 au 1er tour de l’élection. En 2005, Bouteflika est nommé président du FLN par le huitième congrès du parti. Hospitalisé au Val-de-Grâce le 26 novembre 2005 puis le 20 avril 2006, son état de santé demeure un secret d’Etat.
Voici donc le cheminement d’un homme qui a fêté ses 70 ans le 2 mars dernier, sans arriver à se débarrasser de ses certitudes nées de la guerre froide. Ni à remettre les Algériens au travail. Il préférera faire bâtir des HLM horribles par les Chinois ou s’allier avec des régimes peu recommandables, pour contrecarrer le parachèvement par le Maroc de son intégrité territoriale. Il n’arrivera même pas à débarrasser les arcanes du pouvoir d’une camarilla militaire connue universellement pour sa boulimie affairiste. En vérité, le dogme de l’autodétermination constitue pour les gouvernants d’Alger une sorte d’immaculée conception indiscutable. Elle permit naguère de présider à la création d’un Etat qui n’existait pas et dont le territoire naguère appelé «Al Maghrib al awsat» (le Moyen-Maghreb) était gouverné par toutes sortes de dynasties exogènes. Au XVème siècle, les Ottomans y nommèrent un Dey qui ne sera délogé qu’en 1830. La France prit la suite jusqu’en 1961. Ce fut ensuite la dictature du FLN qui pratiqua le syndrome de la cocotte minute jusqu’à la pagaille institutionnelle de l’aube de la décennie 80. Depuis, c’est un cauchemar interminable qui s’est emparé du pays. Au lieu de se regarder en face et s’attaquer à ses maux organiques, l’Algérie se sert de l’autodétermination pour espérer aliéner la marche du Royaume vers son destin de nation tampon entre l’Europe et l’Afrique.
Abdessamad Mouhieddine