Vous pouvez juger un livre par son titre. Peut-être il y a plus d’une once de vérité dans ce qu’a dit dans un article récent de Leela Jacinto dans Foreign Policy. L’article et son titre sensationnaliste appartiennent à la fâcheuse tendance du journalisme de « parachute » qui traite les événements actuels sans aucune connaissance préalable, travaille à saisir les pailles de pertinence, mais échoue malheureusement à livrer.
L’auteur fait un certain nombre de déclarations générales douteuses dans sa tentative d’établir un lien ténu entre la récente vague de terrorisme en France et en Belgique, et dans la région montagneuse du RIF, où certains des terroristes prétendent avoir des liens ancestraux. Jacinto va même plus loin que cela, ce qui rend l’affirmation sans fondement que la région du Rif est le «cœur du terrorisme mondial » – pas Molenbeek, Raqqa ou Waziristan. Elle écrit:
Au lieu de concentrer sur l’article sur une analyse des effets néfastes de la marginalisation et la radicalisation religieuse dans les banlieues européennes, l’auteur fait un détour par l’origine ethnique et régionale des terroristes. Quelles preuves présente Jacinto pour appuyer ces revendications ? Les terroristes notoires tels que Najim Laachraoui et les parents de Salah Abdeslam sont nés au Maroc dans le RIF. Cette preuve semble mince au mieux. Elle, cependant, propose légère avertissement que le meneur des attentats de Paris, Abdlehamid Abaaoud, ne vient pas de RIF, qui devrait fournir une lacune de démystification tôt dans l’ensemble l’hypothèse de l’article.
« Laachraoui était rifain : un ressortissant belge principalement élevé dans le quartier de Schaerbeek Bruxelles, mais né à Ajdir, une petite ville fière de l’histoire du Rif. Le suspect dans les attaques de Paris Salah Abdeslam et son frère Brahim, qui était l’un des attaquants de Paris qui vise les bars et restaurants dans les 10e et 11e arrondissements avant de se faire exploser dans un restaurant populaire Paris le 13 novembre 2015, ont également été à la fois des rifains par filiation. ( N.B Abdelhamid Abaaoud n’est pas d’origine rifaine, ça vaut ce que ça vaut- sa famille est originaire du sud du Maroc)
L’article ne propose aucune analyse de la radicalisation complexe et l’endoctrinement de ces citoyens principalement européens. Pas un seul mot de ces terroristes qui ont été radicalisés, endoctrinés, ou formés dans les montagnes du RIF. Aucun d’entre eux n’a vécu, le cas échéant, dans le RIF pendant une période de temps relativement longue. Le fait est qu’eux, et leurs parents, sont nés dans l’une des régions les plus marginalisées, les plus pauvres au Maroc, foyer du cannabis, la contrebande, une histoire violente avec le colonialisme et le Makhzen autocratique sont des indicateurs suffisants pour Jacinto que l’essence du radicalisme religieux qui saisit l’Europe et le monde d’aujourd’hui se trouve dans les montagnes du RIF.
L’orientation générale de l’article, nous sommes amenés à le croire, est que ces Rifains et leurs parents ont apporté avec eux une sorte de bagage de l’aliénation et de l’extrémisme en Europe, ce qui a facilité leur radicalisation, indépendamment de leur origine criminelle précoce ou exclusion individuelle et communautaire dans une société qui cherche à les assimiler radicalement pour faire d’eux des citoyens européens exclusivement.
L’identité et la culture rifaine, et le «bagage de négligence», comme l’article soutient sans la moindre preuve sociologique ou autre, sont sur la voie de la radicalisation. Placé dans une perspective comparative, l’auteur affirme que les Belges turcs ne sont pas aussi militant que les Belges marocains, tout simplement parce qu’ils ne sont pas exposés à la littérature arabe wahhabite. Soit Jacinto ne sait pas, ou préfère ignorer le fait que l’idéologie wahhabite a longtemps été traduite en de nombreuses langues de par le monde, y compris la Turquie. De plus, nous savons que plusieurs de ces terroristes musulmans européens ne parlent pas arabe et comptent sur des vidéos traduites et sur la littérature de l’islamisme radical. DAECH a également eu plus de succès dans le recrutement de terroristes européens nés en Europe dans leur propre langue. Mais plus dévastateur pour l’article est le manque de données de base sur le RIF. Les Rifains sont majoritairement amazighs, qui sont ethniquement et linguistiquement pas arabes, et ne parlent pas l’arabe. Selon l’argument , ils sont autant étrangers à l’idéologie wahhabite diffusée dans la langue arabe que les Turcs.
L’auteur apporte également un argument faible que l’histoire culturelle séculaire de la Turquie moderne explique le manque de terroristes turcs en Europe. Aucun élément de preuve n’est fournie à ce propos – que la conjecture basée sur l’une des sources dans son article. Cependant, nous savons qu’il y a un certain nombre de terroristes turcs qui luttent pour DAECH. Selon le Groupe Soufan, il y a 2.100 combattants turcs avec DAECH, le quatrième plus grand contingent des islamistes radicaux après la Tunisie, l’Arabie Saoudite et la Russie ( qui n’est pas un pays arabophone ).
Jacinto semble penser que tout ce dont elle a besoin de faire est de souligner que certains des terroristes récents en Europe sont d’origine marocaine-Rifaine afin d’offrir une preuve concluante d’un gène radical marocain rifain. Ce qui est une affirmation dangereusement fausse et à plusieurs niveaux. Tout d’abord, ces terroristes sont plus belges ou français que marocains. Certains ne parlent même pas les dialectes amazighs ni associés culturellement ou cognitivement avec leur pays d’origine. Leur radicalisation est arrivée en Europe et leur malaise est européen lié à l’intégration et à l’assimilation, légitimée par référence à une idéologie religieuse pervertie et violente. Le problème se situe plus dans les sociétés européennes où les immigrés marocains radicalisés sont des individus liminaux (En rupture de ban) avec un dangereux sentiment de crise d’identité.
L’une des principales caractéristiques du terrorisme religieux est que le sentiment d’aliénation dans sa société comme en témoigne par des générations d’extrémistes religieux du mouvement de l’identité chrétienne au cœur de l’attentat d’Oklahoma City, au fantisme juif de Baruch Goldstein, et la vision apocalyptique du monde du bouddhisme perverti de Aum Shinrikyo au Japon. Le sentiment de marginalisation d’un grand nombre de musulmans ressenti chez soi, que ce soit dans les pays à majorité musulmane sous le joug de la domination autoritaire, ou dans les pays européens face à une crise d’identité dangereuse. Ces étrangers radicaux se considèrent à la frange de leur système socio-politique, où la violence devient un acte sacramentel justifiée par des principes religieux ossifiés, et légitimées par une référence à un eschatologie violente.
L’article commet une faute de généralisation et jeta toute la région du RIF comme une région militante. Le RIF est l’une des régions les plus défavorisées au Maroc, avec une histoire particulièrement ensanglantée pour cause de la violence de l’État. Mais plusieurs régions du Maroc présentent les mêmes caractéristiques d’ostracisme et de pathologies socio-économiques, avec plus ou moins le recours à la violence.
Le fait qu’il existe, en effet, des terroristes violents qui sont nés et radicalisés au Maroc est irréfutable. Après tout, il y a plus de 1200 Marocains qui combattent pour DAECH selon le Groupe Soufan. Mais les hypothèses faciles qui sous-tendent cet article par un «journaliste primé du Grand Reportage d’Actualité » et l’affirmation sensationnaliste que le Rif est le foyer du terrorisme mondial aujourd’hui sont flagrants et dépourvue de toute valeur analytique ou empirique. L’islamisme radical n’est pas un problème ethnique, il est un ensemble complexe de problèmes religieux, socio-économiques et identitaires. DAECH a démontré que l’extrémisme islamiste violent ne connaît pas de frontières nationales, ethniques, raciales ou sociales. Ses sources ou foyers ne sont une réalité que dans l’esprit des journalistes frivoles à la recherche des titres sensationnalistes.
Mohamed Daadaoui
@Maghreblog
An academic and social commentator. Author of: Moroccan Monarchy and the Islamist Challenge: Maintaining Makhzen Power