La maladie du président Bouteflika a polarisé l’attention de la presse algérienne depuis plusieurs mois. En effet, cette crise a fini de consacrer une paralysie institutionnelle qu’elle n’a pas causée – puisque cette paralysie est devenue véritablement systémique – mais dont elle a constitué un véritable symbole.
Cette situation exceptionnelle a été l’illustration de ce que les citoyens ressentent chaque fois qu’ils ont affaire aux services publics, c’est-à-dire une impuissance gouvernementale caractérisée, doublée d’un mépris notoire pour le citoyen algérien.
Faire mentir les pronostics
La communication sur la maladie du président n’a donné lieu qu’à quelques communiqués laconiques de la Présidence pour convaincre de la capacité d’Abdelaziz Bouteflika à assumer ses responsabilités dans la gestion des affaires du pays. L’apogée du ridicule a été atteinte lorsque celui-ci a reçu aux Invalides le chef d’état-major des armées, le Général Ahmed Gaïd Salah, ainsi que le Premier Ministre, Abdelmalek Sellal, confirmant si besoin était que son état était autrement plus grave que ce que la communication officielle avait voulu faire croire.
Partant de ce constat, certains observateurs ont trop vite fait de signer la mort politique de Bouteflika. Pour rappeler sa présence sur la scène politique, le président a décidé d’envoyer des signaux forts dès son retour à Alger. L’une de ses premières mesures a été le limogeage du colonel Fawzi, l’officier du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services spéciaux) chargé du contrôle des médias. Gérant occulte de l’ANEP, l’agence officielle chargée de distribuer la manne publicitaire des entreprises publiques aux organes de presse, le colonel Fawzi se comportait en véritable seigneur, favorisant des journaux fantômes proches du Palais, et asphyxiant tous ceux qui lui étaient hostiles. Le pouvoir a laissé entendre que le colonel Fawzi a été écarté dans le cadre d’une opération anti-corruption; en réalité, il a été débarqué pour la communication calamiteuse sur la maladie du président, au cours de laquelle des journaux pourtant acquis au pouvoir relayaient les rumeurs les plus saugrenues.
Depuis, d’importants remaniements ont touché le gouvernement et l’armée. En apparence, Abdelaziz Bouteflika a frappé un grand coup en écartant les ministres réputés trop proches du DRS, comme l’inamovible Chérif Rahmani, ministre de l’industrie, ou ceux du FLN opposés à la désignation d’Amara Saadani au poste de secrétaire général de l’ex parti unique.
Au niveau de l’institution militaire, les généraux Athman Tartag, à la tête de la direction du contre-espionnage (DCE), et Rachid Lallali, chef de la direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE), les deux adjoints les plus proches du général Toufik, ont été relevés de leur fonction. Mais aussi le général Boustila, patron de la gendarmerie nationale et proche du clan présidentiel. Si certains observateurs ont vu une victoire du président sur le DRS, ces changements n’ont été possibles qu’avec l’aval du général Toufik. Ils permettent au président Bouteflika de démentir les pronostics de ceux qui l’ont enterré trop vite, et au patron du DRS de ne pas apparaître en première ligne.
Gesticulations d’un président finissant
Depuis la mort du président Houari Boumediene en décembre 1978, les services de sécurité, dirigés jusque-là par le taciturne Kasdi Merbah (Abdellah Khalef de son vrai nom) ont connu plusieurs restructurations. Au début des années 80, puis au lendemain des émeutes d’octobre 1988, le président Chadli Benjedid avait déjà tenté de remodeler à sa main la Sécurité militaire, ancêtre du DRS. Et même si certaines prérogatives ont formellement échappé au giron de l’institution, dans les faits, sa prédominance dans le paysage politique algérien n’a jamais été remise en cause. Lors de l’élection présidentielle d’avril 2004, Abdelaziz Bouteflika a été « réélu » grâce au soutien du général Toufik, chef du DRS, malgré l’hostilité du général Mohamed Lamari, alors chef d’état major de l’armée et de plusieurs officiers supérieurs.
Pour Abdelaziz Bouteflika, fortement fragilisé par les scandales de corruption, notamment ceux de Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale, le dernier remaniement n’est pas le signe d’un bras de fer entre la présidence et le DRS; il reflète plutôt les gesticulations d’un président finissant qui veut influer sur la désignation de son successeur avant de mourir sur le trône.
Bouteflika en tête dans le bal des menteurs
En attendant, le pays est dans l’impasse. Bien que l’échéance présidentielle soit prévue dans moins de six mois, l’Algérie est encore loin de vivre au rythme d’une campagne électorale. Les candidatures se déclarent timidement, les rumeurs courent, les déclarations d’intention se font entendre, mais le nombre de candidats qui s’engageront réellement dans la course est encore incertain. Trois anciens premiers ministres reviennent toutefois régulièrement parmi les présidentiables potentiels. Ahmed Benbitour, un technocrate qui se découvre une âme d’opposant à un âge avancé, est le premier à se positionner sur la ligne de départ. Ali Benflis, qui s’était présenté contre Bouteflika en 2004 avant de connaître une longue traversée du désert, commence à réactiver ses réseaux politiques. Enfin, Mouloud Hamrouche, initiateur des réformes politiques à la fin des années 80, parait, comme à chaque fois, attendre un adoubement de la part de l’institution militaire. Le bal des menteurs serait-il donc ouvert?
En dépit des apparences, Abdelaziz Bouteflika a une bonne longueur d’avance sur ses concurrents annoncés. Vieux, malade, usé, il reste, malgré tout, présent dans le jeu politique; pour le régime en place depuis l’indépendance depuis 1962, c’est l’homme providentiel qui lui permettra de jouer les prolongations. Optera t-il pour un nouveau viol de la Constitution en passant du quinquennat au septennat avec effet rétroactif? Ou choisira t-il de briguer un 4ème mandat, en ticket avec un vice-président qui sera son successeur de fait? Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de permettre aux apparatchiks du clan présidentiel de garder leurs positions dans l’appareil d’Etat, et d’échapper à la justice pour ceux d’entre eux qui sont accusés de corruption.
Après des décennies de règne politique sans partage, cette gérontocratie en déclin s’accroche au pouvoir comme bouclier contre d’éventuelles représailles; elle ne le rendra qu’en rendant l’âme. En attendant, le statu quo permettra aux plus puissants de continuer à jouir de leurs privilèges.
Aghilès Aït-Larbi
Faire mentir les pronostics
La communication sur la maladie du président n’a donné lieu qu’à quelques communiqués laconiques de la Présidence pour convaincre de la capacité d’Abdelaziz Bouteflika à assumer ses responsabilités dans la gestion des affaires du pays. L’apogée du ridicule a été atteinte lorsque celui-ci a reçu aux Invalides le chef d’état-major des armées, le Général Ahmed Gaïd Salah, ainsi que le Premier Ministre, Abdelmalek Sellal, confirmant si besoin était que son état était autrement plus grave que ce que la communication officielle avait voulu faire croire.
Partant de ce constat, certains observateurs ont trop vite fait de signer la mort politique de Bouteflika. Pour rappeler sa présence sur la scène politique, le président a décidé d’envoyer des signaux forts dès son retour à Alger. L’une de ses premières mesures a été le limogeage du colonel Fawzi, l’officier du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services spéciaux) chargé du contrôle des médias. Gérant occulte de l’ANEP, l’agence officielle chargée de distribuer la manne publicitaire des entreprises publiques aux organes de presse, le colonel Fawzi se comportait en véritable seigneur, favorisant des journaux fantômes proches du Palais, et asphyxiant tous ceux qui lui étaient hostiles. Le pouvoir a laissé entendre que le colonel Fawzi a été écarté dans le cadre d’une opération anti-corruption; en réalité, il a été débarqué pour la communication calamiteuse sur la maladie du président, au cours de laquelle des journaux pourtant acquis au pouvoir relayaient les rumeurs les plus saugrenues.
Depuis, d’importants remaniements ont touché le gouvernement et l’armée. En apparence, Abdelaziz Bouteflika a frappé un grand coup en écartant les ministres réputés trop proches du DRS, comme l’inamovible Chérif Rahmani, ministre de l’industrie, ou ceux du FLN opposés à la désignation d’Amara Saadani au poste de secrétaire général de l’ex parti unique.
Au niveau de l’institution militaire, les généraux Athman Tartag, à la tête de la direction du contre-espionnage (DCE), et Rachid Lallali, chef de la direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE), les deux adjoints les plus proches du général Toufik, ont été relevés de leur fonction. Mais aussi le général Boustila, patron de la gendarmerie nationale et proche du clan présidentiel. Si certains observateurs ont vu une victoire du président sur le DRS, ces changements n’ont été possibles qu’avec l’aval du général Toufik. Ils permettent au président Bouteflika de démentir les pronostics de ceux qui l’ont enterré trop vite, et au patron du DRS de ne pas apparaître en première ligne.
Gesticulations d’un président finissant
Depuis la mort du président Houari Boumediene en décembre 1978, les services de sécurité, dirigés jusque-là par le taciturne Kasdi Merbah (Abdellah Khalef de son vrai nom) ont connu plusieurs restructurations. Au début des années 80, puis au lendemain des émeutes d’octobre 1988, le président Chadli Benjedid avait déjà tenté de remodeler à sa main la Sécurité militaire, ancêtre du DRS. Et même si certaines prérogatives ont formellement échappé au giron de l’institution, dans les faits, sa prédominance dans le paysage politique algérien n’a jamais été remise en cause. Lors de l’élection présidentielle d’avril 2004, Abdelaziz Bouteflika a été « réélu » grâce au soutien du général Toufik, chef du DRS, malgré l’hostilité du général Mohamed Lamari, alors chef d’état major de l’armée et de plusieurs officiers supérieurs.
Pour Abdelaziz Bouteflika, fortement fragilisé par les scandales de corruption, notamment ceux de Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale, le dernier remaniement n’est pas le signe d’un bras de fer entre la présidence et le DRS; il reflète plutôt les gesticulations d’un président finissant qui veut influer sur la désignation de son successeur avant de mourir sur le trône.
Bouteflika en tête dans le bal des menteurs
En attendant, le pays est dans l’impasse. Bien que l’échéance présidentielle soit prévue dans moins de six mois, l’Algérie est encore loin de vivre au rythme d’une campagne électorale. Les candidatures se déclarent timidement, les rumeurs courent, les déclarations d’intention se font entendre, mais le nombre de candidats qui s’engageront réellement dans la course est encore incertain. Trois anciens premiers ministres reviennent toutefois régulièrement parmi les présidentiables potentiels. Ahmed Benbitour, un technocrate qui se découvre une âme d’opposant à un âge avancé, est le premier à se positionner sur la ligne de départ. Ali Benflis, qui s’était présenté contre Bouteflika en 2004 avant de connaître une longue traversée du désert, commence à réactiver ses réseaux politiques. Enfin, Mouloud Hamrouche, initiateur des réformes politiques à la fin des années 80, parait, comme à chaque fois, attendre un adoubement de la part de l’institution militaire. Le bal des menteurs serait-il donc ouvert?
En dépit des apparences, Abdelaziz Bouteflika a une bonne longueur d’avance sur ses concurrents annoncés. Vieux, malade, usé, il reste, malgré tout, présent dans le jeu politique; pour le régime en place depuis l’indépendance depuis 1962, c’est l’homme providentiel qui lui permettra de jouer les prolongations. Optera t-il pour un nouveau viol de la Constitution en passant du quinquennat au septennat avec effet rétroactif? Ou choisira t-il de briguer un 4ème mandat, en ticket avec un vice-président qui sera son successeur de fait? Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de permettre aux apparatchiks du clan présidentiel de garder leurs positions dans l’appareil d’Etat, et d’échapper à la justice pour ceux d’entre eux qui sont accusés de corruption.
Après des décennies de règne politique sans partage, cette gérontocratie en déclin s’accroche au pouvoir comme bouclier contre d’éventuelles représailles; elle ne le rendra qu’en rendant l’âme. En attendant, le statu quo permettra aux plus puissants de continuer à jouir de leurs privilèges.
Aghilès Aït-Larbi