La hache de guerre est déterrée entre le royaume et son voisin de l’Est. Et pour cause, les déclarations des responsables algériens se suivent et se ressemblent depuis quelques semaines.
Le maître-mot est toujours le même : les officiels du pays d’un million de martyrs se déclarent prêts à normaliser les relations avec le royaume avec, en prime, une ouverture des frontières terrestres entre les deux pays. L'«initiative» est assortie de plusieurs conditions. Et c’est là où le bât blesse. Les «préalables» requis par les Algériens relèvent de l'extravagance : «L’arrêt immédiat de la campagne de dénigrement menée par des cercles marocains officiels et non officiels contre l’Algérie», «une coopération sincère et fructueuse de la part des autorités marocaines pour arrêter les quantités impressionnantes de drogue qui passent quotidiennement la frontière», «admettre que l’Algérie a une position constante sur la question du Sahara occidental», considérée «comme une question de décolonisation, ne devant se régler qu’à l’ONU». Ce triptyque laisse perplexe et pose plusieurs interrogations sur les tenants et aboutissants. «Suite à la vacance du poste de chef de l’État, en convalescence à Paris depuis des mois, qui a plongé l’Algérie dans un état d’incertitude, les responsables algériens tentent par tous les moyens d’évacuer la crise interne en essayant d’occuper le terrain. Aussi, il ne faut oublier que la guerre de succession de Bouteflika est d’ores et déjà lancée. Les protagonistes algériens essayent de se positionner sur l’échiquier politique», explique Tajedinne Housseini, professeur des Relations internationales à l’Université de Rabat.
L’«ennemi» idéal
En effet, la guerre des positions bat son plein chez le voisin. Sur ce registre, force est de constater que l’«épouvantail» Maroc a toujours servi aux officiels algériens pour canaliser les crises internes et asseoir leur légitimité. Une carte que tous les prétendants utilisent à fond, visiblement pour avoir voix au chapitre. Déjà fin avril, le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères, sous couvert d’anonymat, avait ouvert les hostilités en exigeant du Maroc de faire des efforts et remplir les conditions évoquées plus haut en vue de normaliser les relations entre les deux pays. Le 18 juin, mais à visage découvert cette fois-ci, il réitère les mêmes conditions. Le 25 juin, l’escalade algérienne prend une nouvelle dimension, car désormais c’est le ministre des Affaires étrangères algérien, Morad Medelci, qui prend à bras le corps les revendications de son pays. Dans la foulée, le ton monte de plusieurs crans, accusant ouvertement le Maroc de laxisme dans la lutte contre le trafic de drogue. «De plus en plus sous pression, ceux qui tiennent les rênes du pouvoir en Algérie devaient trouver la parade pour fuir en avant. L’astuce, comme à l’accoutumée, était de jeter la pierre à leur voisin marocain. Toutefois, en touchant à la question du Sahara, les responsables algériens ont poussé le bouchon trop loin», explique Tajeddine Housseini. C’est d’ailleurs ce qui explique le ton sévère et intransigeant de Rabat. En réaction à l’escalade algérienne, le ministère des Affaires étrangères «dénonce vigoureusement l’esprit et la lettre de ces déclarations et regrette vivement ces positions anachroniques dans leur démarche et injustifiées dans leur substance».
Faux et usage de faux
Les responsables marocains sont montés au créneau pour protester contre les déclarations des responsables algériens, mais aussi pour démonter leurs allégations. Dans une déclaration à la chaîne Al Oula, le ministre délégué aux affaires étrangères et à la coopération, Youssef Amrani, a réfuté point par point les arguments avancés par les «frères» algériens. Ces arguments relèvent d’ «une approche dangereuse et inacceptable, qui nous ramène à une logique obsolète et à une lecture largement dépassée, rappelant la culture et les réflexes de la guerre froide», a-t-il fustigé. Pour la première condition posée par Alger, à savoir la prétendue campagne de diffamation médiatique menée par des médias marocains, Amrani la balaie d’un revers de la main : «Il n'y a pas un jour où le Maroc n'appelle pas à la construction d'une relation forte avec l'Algérie et ne fait pas l'objet d'attaques aveugles et injustifiées par la presse algérienne. Il n'y a pas un jour où le Maroc n'exprime pas son engagement pour le renforcement du Grand Maghreb et l'émergence d'un nouvel ordre maghrébin».
S'agissant de la deuxième condition (les allégations liées au trafic de drogue et de contrebande), le ministre a rappelé qu'aujourd'hui, c'est le Maroc et sa jeunesse qui sont victimes de la profusion des psychotropes et des drogues dures introduites frauduleusement à partir du territoire algérien. Enfin, concernant la conditionnalité entre la question du Sahara marocain et le processus de normalisation entre les deux pays, le ministre a constaté que «l'Algérie place son soutien aux ennemis de notre intégrité territoriale au-dessus de toute considération, que cela soit la relation bilatérale, la construction maghrébine ou encore la construction d'un espace de paix et de prospérité partagée en Méditerranée».
Écrit par Tarik Hari
point de vue
Tajeddine Housseini, Professeur de relations internationales.
C’est un moyen d’évacuer la crise interne
Le timing de la sortie du porte-parole du ministère des Affaires étrangères n’est pas anodin. Sur fond de maladie de son président, Abdelaziz Bouteflika, l’Algérie subit depuis des semaines une crise politique qui commence à faire planer le doute sur l’avenir du pays. Les responsables algériens essayent donc tant bien que mal d’évacuer cette crise en déterrant la hache de guerre avec le royaume. L’intention de vouloir trouver une issue au climat d’incertitude qui règne en Algérie est évidente. Au-delà du caractère agressif et incompréhensible des déclarations du responsable algérien, force est de constater qu’aucun argument ne tient la route. D’abord, concernant la soi-disant «campagne de dénigrement menée par des cercles officiels et non-officiels marocains contre l'Algérie», il s'agit de toute évidence d'une fuite en avant et que c’est plutôt le Maroc qui subit des attaques en série de la part de responsables algériens. Ensuite, la condition de «coopération effective du Maroc pour arrêter les flux de trafic, notamment de drogues», laisse tout simplement perplexe. Le Maroc a été le premier à appeler à l’ouverture des frontières, tandis que les Algériens s’obstinent à couper les passerelles. Alors qu’on le sait, c’est lorsque les frontières sont fermées que les trafics de toutes sortes se développent. Enfin, et c’est cela le coup de massue, l’Algérie s’implique directement et ouvertement dans la question du Sahara, alors qu’elle a un accord, convenu au plus haut niveau et réitéré à maintes reprises, de découpler la gestion du dossier du Sahara marocain de l'évolution des relations bilatérales. À la lumière de tout ce qui précède, et avec ce genre de discours, les relations entre les deux pays prennent une dimension très inquiétante. Le Maroc a bien fait de manifester avec force son refus de ce genre de déclarations, qui risquent d’avoir des conséquences graves sur la suite des événements.