Avant de provoquer la guerre civile, la junte militaire algérienne savait très bien les conséquences dévastatrices et dramatiques auxquelles elle exposera le pays en procédant au putsch de 1992 et à l’arrêt des élections.
Elle a prévu un tribut de 60 000 Algériens qui allaient périr après son intervention dans la vie publique. C’est le ministère de la Communication, dirigé à l’époque par le désormais sinistre Boubakr Belkaïd qui a donné cette prévision aux patrons de la presse.Cette information pétrifiante a été révélée le 13 août dernier par Maâmar Farah, l’ex-directeur de la rédaction et fondateur du journal Le soir d’Algérie. L’article en question fait l’apologie de l’ancien ministre de la défense, le général-major Khaled Nezzar pour tenter de manipuler encore une fois manipuler l’opinion publique. Il y a beaucoup à redire sur l’article de monsieur Farah, mais l’information principale qui y est rapportée est «la consultation des médias par le pouvoir sur l’arrêt imminent du processus électoral de 1992 et les prévisions de 60 000 morts »
Au lieu de servir d’élément de plaidoirie en faveur de Khaled Nezzar , la révélation-choc de monsieur Farah l’accable davantage. C’est une véritable bombe qui éclate à la face du pouvoir algérien et de ses valets de premier plan qui l’ont encouragé et l’ont assisté et l’ont couvert dans son aventure meurtrière qui a fait non pas 60 000 morts, mais au moins 200 000 morts et 20 000 disparus: un holocauste. La guerre confessionnelle de Bosnie-Herzégovine en a fait moins de 100 000 morts.
Le général-major à la retraite Khaled Nezzar qui, probablement, n’a pas tué un seul français pendant la guerre de libération s’était engagé dans la voie du sang en toute connaissance de cause. Il ne devait pas ignorer le «pronostic secret» des 60 000 morts qu’il allait faire mourir. Après avoir été la cause de la mort de 500 jeunes et des milliers de torturés en octobre-88, en 1992, il avait décidé de monter sur ses chevaux et faire basculer l’Algérie dans l’inconnu. Lui et son clan étaient donc prêts à sacrifier des dizaines de milliers d’Algériens pour s’opposer au FIS. Soixante milles algériens tués étaient pour lui un chiffre raisonnable. Pas très lourd pour la conscience d’un militaire qui se trouve derrière les canons. Aujourd’hui, il se rebiffe et ose dire «je n’ai pas tué de gens !». Ben oui, assis dans son bureau, fumant sa cigarette qui ne le quitte pas, il n’a fait qu’ouvrir les portes de l’enfer sur l’Algérie.
Ali Haroun, Larbi Belkheir, Mohamed Touati et Mohamed Mediène, eux aussi, avaient accepté de consentir « ce sacrifice » de faire couler le sang algérien. Pour eux, c’était acceptable les 60 000 morts. Comme le dit clairement Maâmar Farah dans son terrible article, un tel dégât collatéral se voit un peu partout dans le monde… Alors, l’on imagine facilement qu’avec une telle logique ce clan n’a pas hésité à ouvrir le bal de la mort.
Après avoir pris cette grave décision, le club des pins et d’autres secteurs ont été transformés en zones interdites et en de grandes forteresses pour que ni la junte militaire, ni leurs suppôts ni leurs familles ne soient inclus dans le nombre des 60 000 morts.
La précaution des forteresses de l’oligarchie n’était pas suffisante, il leur fallait « faire partager la responsabilité du sang algérien » à d’autres acteurs : les patrons de la presse. C’est ainsi que Boubakr Belkaïd, le ministre de la Communication et de la Culture de l’époque et qui s’est trempé jusqu’au cou dans cette entreprise meurtrière, a convoqué dans son ministère les directeurs de publication de la presse nationale et les a informés sur « les prévisions» pour les consulter… Cette réunion s’est révélée un véritable conciliabule secret dont personne n’a osé parler dans ses mémoires. Tel un pacte de sang, la réunion devait rester secrète à jamais et Belkaïd ou son représentant avait dû conseiller ses invités à faire les « motus bouches cousues». Ni Nezzar ni son ami Haroun n’ont prononcé le chiffre des 60 000 morts prévus avant l’arrêt des élections. Pourtant, ils n’arrêtent pas de se vanter de tout et de rien. Ah le courage !
Mais les grands perdants de cette réunion secrète ce sont les médias qui ont accepté de se taire et ont agi pour le compte du pouvoir. Ils savaient que la mort va planer sur toute l’Algérie. Et que le pays va être traumatisé pour très longtemps. Le fait de garder le secret si longtemps sur le «pronostic du pouvoir et sur la réunion fait d’eux des complices à part entière. Qui parmi eux oserait dire avoir participé à cette funeste consultation ? Qui oserait maintenant donner des détails sur la fameuse réunion. Personne. C’est la plus belle preuve de leur patriotisme et de leur courage… Pendant la réunion, ils n’ont pas été choqués que des milliers d’Algériens allaient mourir, mais quand l’Algérie commençait à bruler et que des journalistes étaient tués par les terroristes, ils jouaient aux horrifiés.