L’un des responsables actuels d’Alger, le Premier ministre, Ahmed Ouyahya, vient de donner des éléments significatifs lors d’une conférence tenue dimanche 29 mai 2011, dans la capitale à l’issue des travaux du “Forum Algérie- Union Européenne”. Que dit-il? Que la réouverture des frontières terrestres entre le Maroc et l’Algérie «n’est pas à l’ordre du jour», qu’«il n’y a rien de programmé et elle arrivera un jour, mais pour qu’elle arrive, elle a besoin d’un climat et le climat se concrétise par des déclarations…»
Et d’ajouter que «ces derniers temps, on note des déclarations de l’agence officielle marocaine et une agitation du lobby marocain aux Etats-Unis semblant vouloir impliquer l’Algérie dans l’envoi de mercenaires et d’armes en Libye”. Diable! Le Royaume serait-il donc si influent aux Etats-Unis? Allons, allons… D’ailleurs, le ministère des Affaires étrangères marocain s’est fendu, mercredi 1er juin 2011, d’un communiqué pour démonter de telles allégations.
«Le Royaume du Maroc, loin de toute considération conjoncturelle ou alibi artificiel, demeure engagé, avec force et sincérité, sur la voie d’une véritable normalisation des relations bilatérales, au bénéfice des deux peuples frères, porteurs et acteurs d’une relation bilatérale forte et dense», souligne le ministère.
Pour ce qui est, en premier lieu, de la normalisation des relations entre Alger et Rabat, laquelle implique la levée de la fermeture des frontières communes, force est de faire ce constat: M. Ouyahya a besoin de donner plus d’homogénéité à la position de son gouvernement.
Voici deux mois, c’est une toute autre tonalité qui avait été exprimée par le ministre des Affaires étrangères en personne, Mourad Medelci, dans un entretien publié par le quotidien algérien L’Expression du 24 mars: «La frontière ne peut pas être fermée tout le temps, il faudra bien que nous réunissions des deux côtés les éléments nécessaires tant au plan politique que sécuritaire et économique qui pourraient justifier la réouverture des frontières».
Les frontières, enjeu électoral Dès lors, comment expliquer cette variation entre le responsable de la diplomatie algérienne, proche de Bouteflika, et le Premier ministre? L’explication dominante a trait à un enjeu de politique intérieure. Et c’est cet aspect- là qui, en second lieu, aide à l’appréhension de toutes les composantes de cette position. Pour résumer, la question des frontières est devenue un enjeu des luttes intestines de cercles de pouvoir prépositionnés dans la perspective de la succession de Boutflika.
Le président actuel a en effet une santé de plus en plus chancelante. Pourra-t-il arriver au terme de son troisième mandat, présidentiel en 2014? Tout le monde en doute, à commencer par la hiérarchie militaire qui, par métier et par survie, a besoin d’envisager un “Plan B” au cas où…
Dans ce schéma, le Premier ministre Ahmed Ouyahya, est son candidat. Elle l’avait déjà imposé à la tête du gouvernement alors qu’il avait été limogé précédemment de fonctions ministérielles. Elle l’a doté en outre d’un instrument –en l’occurrence un parti: le Rassemblement national démocratique (RND)– qui est l’une des trois composantes de la majorité présidentielle.
Enfin, il est le tenant et le défenseur d’une ligne politique dure. Il ne manque pas une occasion de saluer le rôle de l’armée dans la lutte antiterroriste. L’homme de la vieille garde Ahmed Ouyahya se démarque encore à propos de la politique économique en confirmant son image de libéral et en sécurisant les milieux économiques.
Il a ainsi souligné, lors de cette même conférence de presse donnée à l’issue de la rencontre tripartite (gouvernement –syndicats– patronat) des mesures favorables à l’amélioration du climat d’affaires et à la promotion des investissements. A cet égard, il a fait état des retards et des insuffisances du cadre réglementaire en adoptant une posture d’un homme tourné vers l’avenir, préparant une nouvelle stratégie de développement. Pour ce qui est enfin de la mise en cause de Rabat à propos de l’implication d’Alger au côté de Kadhafi, Ahmed Ouyahya s’emploie à nier des faits avérés.
S’il a tout juste concédé que son gouvernement a reçu de la part d’opérateurs libyens des demandes d’achat de produits alimentaires et de médicaments, il a nié tout le reste. La politique du leurre Dès les premières semaines, des convois de 4x4 ont transporté à partir de la ville frontalière algérolibyenne de Ghadamès des centaines de mercenaires du Polisario à qui une prime d’engagement de 30.000 Euros (40.000 dollars) a été versée.
Ce recrutement a été élargi à de nouvelles recrues au Mali, au Niger, en Mauritanie et ailleurs. Une navette d’avions cargo C 130 a assuré par ailleurs le ravitaillement en armes et munitions des forces de Tripoli. Le Conseil national de Transition (CNT) de Benghazi a fait état –noms et identités à l’appui– de dizaines de mercenaires du Polisario capturés lors des opérations militaires.
Dans quelques semaines, ou dans quelques mois, le régime Kadhafi sera balayé par un peuple qui a décidé de mettre à bas un pouvoir de plus de quatre décennies qui finit dans le sang et les crimes contre l’humanité. Cette nouvelle situation présentera bien des risques pour les généraux d’Alger. Le président Bouteflika a lancé un processus de consultation nationale qui doit conduire à des propositions de réforme dans un délai de douze mois, ce qui en dit long sur cette politique de faux-semblant et de leurre (lire par ailleurs l’interview de l’ancien Premier ministre algérien, Sid Ahmed Ghozali).
par Mustapha Sehimi