Rappelons brièvement les faits tels qu’ils ont été portés à la connaissance des citoyens depuis le 14 janvier par quelques journaux privés - El Watan et Liberté - choisis par les services de sécurité pour distiller leurs informations officieuses.
L’arrestation des cadres de Sonatrach est un maillon de la chaîne de scandales qui éclatent l’un après l’autre ces derniers mois ou qui sont divulgués dans la presse privée : affaire de l’autoroute Est-Ouest qui a débouché sur l’arrestation de responsables du ministère des Travaux Publics, affaire des thoniers turcs, ces deux affaires impliquant des ministères tenus par des islamistes.
Certains journaux se sont fait l’écho de graves accusations de détournement de centaines de milliards de dinars du Fonds National de Développement de l’Agriculture par l’ancien président de l’APN avec la complicité de l’ancien ministre de l’Agriculture, proche du « cercle présidentiel » et actuellement à la tête du ministère de la Santé où il a été salutairement placé.
Le DG de l’entreprise du Métro d’Alger fait l’objet lui aussi de poursuites judiciaires pour passation non réglementaire de marchés. L’affaire de l’Union Bank dissoute en 2004 vient d’être exhumée, alors que tout le monde pensait qu’elle était close et classée après son jugement. Si l’on en croit les « confidences » faites à certains journaux, le chef de l’Etat veillerait en personne pour que la nouvelle instruction de cette affaire « aille le plus loin possible ».
Tout se passe comme si une guerre était ouverte. Elle est pour le moment menée à coups de dossiers de corruption que les uns et les autres se jettent à la face.
La conviction de larges secteurs de l’opinion est que ces affaires ne sont que la partie visible de l’iceberg de la corruption qui a gangrené le pays de haut en bas, particulièrement depuis que la libéralisation économique a été décrétée à fin des années 1980 et que, dans ce sillage, la soif d’enrichissement illicite est devenue la règle de conduite des responsables, le critère fondamental de nomination aux postes de commande. Elle n’est que l’arbre qui cache la forêt. La vérité est que le combat réel et résolu contre la corruption n’est absolument à l’ordre du jour d’aucune fraction influente du pouvoir. Aucune d’entre elle n’a l’intention de se tirer une balle dans le pied. Visiblement, certains ne seraient prêts à désigner des boucs émissaires bons à jeter en pâture que pour sauver l’essentiel, face à un mécontentement populaire généralisé. Les clans en lutte pour l’hégémonie dans le pouvoir et le partage des parts du butin s’entendent parfaitement, comme des larrons en foire, quand il s’agit de brimer et réprimer le peuple dans ses luttes pour exprimer et défendre ses droits, les syndicats autonomes, les différentes catégories de travailleurs, comme ceux de SNVI, quand il s’agit de brader l’économie nationale, à l’image du complexe sidérurgique d’El Hadjar, quand il s’agit d’étrangler la liberté de presse et de « subventionner » à fonds perdus la presse aux « ordres ». Il existe incontestablement dans divers appareils d’État des courants et tendances qui voudraient en finir avec la pourriture qui mène le pays vers l’abîme. Mais ils n’ont pas l’initiative. La cause de cette situation indigne pour le pays n’est pas dans le fait que les « gouvernés » seraient eux-mêmes liés par la corruption aux gouvernants comme l’écrivent des « analystes » aigris, cruellement déçus par leur brutale éjection des sphères de réflexion d’un pouvoir « ingrat ». Le régime économique qui s’est créé depuis le grand virage à droite de 1980 repose sur le détournement systématique et généralisé des ressources tirées du pétrole et de la production au profit d’une minorité agrégée par le ciment de la corruption. Cette minorité de profiteurs sans foi ni loi, détenant pouvoir de vie et de mort sur le pays, est déterminée à défendre ses privilèges « irréversibles » face au mécontentement et à la colère montante au sein d’un peuple non moins déterminé à se débarrasser tôt ou tard de ceux qui font son malheur.
La vérité est qu’il s’est constitué depuis 10 ans un nouveau et vaste réseau de clients et de prébendiers autour du chef de l’État. Ce nouveau réseau est animé d’une soif inextinguible de pouvoir politique et économique absolu. Pour réaliser enfin son aspiration à contrôler à lui seul les ressources du pays, en particulier ses hydrocarbures, à placer ce secteur sous son emprise exclusive, il pense que le moment est venu de prendre par tous les moyens la place du vieux réseau qui avait eu le temps de pousser partout ses tentacules depuis l’époque de Chadli. Le nouveau réseau de profiteurs a fait de Sonatrach sa caisse particulière, sa pompe à fric pour financer les campagnes électorales des candidats du « consensus » du pouvoir, pour doter d’une gigantesque logistique le nouveau parti présidentiel en gestation accélérée, un parti programmé pour naître à son tour « avec des moustaches » et évincer de la course les autres partis de la coalition présidentielle actuelle. Ce parti n’a pas attendu l’agrément du ministre de l’Intérieur pour installer à travers tout le pays ses antennes et ses représentants locaux. La perte du contrôle de Sonatrach affaiblit ses moyens d’intervention. Elle brise net son élan vers la suprématie.
La vérité est que le pays est confronté à une grave crise des finances extérieures qui couve en silence. Les dirigeants cachent les chiffres clés et font tout pour en minimiser les conséquences auprès des citoyens, en particulier des travailleurs, paysans, jeunes, intellectuels. En toute vraisemblance, 2009 s’est terminée par un grave déficit des comptes extérieurs, les sorties de devises étant plus importantes que les entrées enregistrées. Cette crise n’est pas due à la chute des recettes pétrolières, comme ils le prétendent pour convaincre les travailleurs qu’ils doivent accepter de nouveaux sacrifices. Elle a son origine dans les détournements massifs de deniers publics, la surfacturation des biens importés, la hausse totalement injustifiée des importations du point de vue de l’intérêt national, la fuite des devises. Elle est en un mot le résultat de l’appétit démesuré de ces couches de profiteurs qui sont prêtes à mettre le pays à feu et à sang plutôt que de renoncer ne serait-ce qu’à un euro de pot de vin. Le gâteau n’est pas assez grand pour satisfaire l’appétit d’ogre de tous les trafiquants du pouvoir. Il ne le sera jamais, même si tout le gaz du pays devrait être exporté en quelques années ainsi que le veut le ministre de l’Énergie dans son objectif insensé de doubler en moins de trois ans les exportations en les portant à 125 milliards de mètres cubes par an ! Et ce sans consulter personne, comme s’il s’agissait de ses biens personnels, sans demander son avis au peuple, sans même feindre de porter le débat, ne serait-ce que pour la forme, devant les « béni oui-oui » de l’APN et du Sénat.
C’est pour cela que les couches dirigeantes se battent à couteau tiré et qu’elles n’hésiteront pas à pousser le pays au bord du gouffre.
Il ne faut malheureusement pas exclure que les uns et les autres s’entendent pour jeter encore une fois en pâture les cadres gestionnaires honnêtes faisant ainsi d’une pierre deux coups : dévier le mécontentement populaire des véritables responsables de la corruption, pousser à un exode massif des compétences vers un secteur privé à qui le régime a promis de nouvelles faveurs de toutes sortes au nom d’un soi-disant « patriotisme économique » qu’aucun d’entre eux n’a respecté quand il s’agissait de casser le secteur public industriel comme par exemple SNVI, SIMAS, le Complexe de vannes et de pompes de Berrouaghia, etc.
La vérité aussi est que les puissances impérialistes ne se contentent pas d’assister les bras croisés à ces luttes internes. Elles les provoquent et les attisent pour amener l’un ou l’autre des groupes en conflit à leur faire le plus de concessions dans la mise en vente du pays, l’éradication des sentiments patriotiques anti-impérialistes qui animent encore de larges couches de notre peuple, la transformation de l’Algérie en porte-avions des USA pour le contrôle de l’Afrique, du Sahel notamment, l’enrôlement de l’armée algérienne dans ses plans de quadrillage du monde. L’intensification ces dernières semaines des allées et venues des responsables de l’Africom et du gouvernement US n’a pas d’autre objectif.
Les travailleurs, les jeunes, ne doivent pas se laisser manipuler et entraîner de nouveau dans des affrontements qui sont étrangers à leurs intérêts. Les leçons du 5 octobre 1988 doivent être assimilées. L’instrumentalisation de l’Islam, la promotion du FIS, créature du régime pour combattre les progressistes, en particulier les communistes, comme l’a publiquement reconnu l’an dernier le général Nezzar, ont fait assez de mal pour la grande masse du peuple. Les travailleurs et les jeunes surtout, ne doivent pas se laisser tromper par des trouvailles machiavéliques qui ne déboucheront une fois de plus, si les forces viennent à manquer pour une alternative démocratique révolutionnaire, que sur le triomphe d’un groupe sur un autre ou sur de nouveaux arrangements entre eux et dont le peuple sera, dans l’un ou l’autre cas, seul à payer la facture.
Il n’y a qu’une seule voie pour les citoyens qui ne vivent que du fruit de leur travail manuel et intellectuel :
- se battre pour arracher des augmentations salariales, obliger les autorités à créer de vrais emplois, à relancer l’industrie, à définir une nouvelle stratégie de développement, à assainir les finances du secteur public économique pour en faire un levier de croissance et de développement, à démocratiser sa gestion, à aider les petits paysans exclus des crédits bancaires et des subventions de l’Etat, à construire des routes, des centres de santé, à étendre le réseau de distribution du gaz, de l’électricité, de l’eau, à assurer l’entretien de celui qui existe, etc.,
- s’unir, se solidariser les uns des autres autour de leurs revendications sociales,
-créer dans l’action et l’union leurs organisations syndicales indépendantes des exploiteurs et oppresseurs,
- se rassembler dans des cadres politiques populaires qui expriment réellement leur aspiration à de vrais changements politiques et socio-économiques, à la rupture avec le libéralisme économique qui a conduit le pays dans l’impasse,.
En dehors de ces luttes, il n’y a pas d’autre voie, pas « de clan ou de sauveur providentiel » pour créer les conditions de ces changements. L’alternative de progrès sera le fruit de ces luttes et uniquement de ces luttes.
Kader Badreddine