Salaires, retraites, logement : les problèmes ne diffèrent guère, des deux côtés de la Méditerranée. Mais ici, on découvre un pays en ébullition, avec des grèves à répétition, des émeutes sociales, de nouvelles organisations syndicales combatives, et une jeunesse à l’avenir barré par les politiques libérales menées sous la férule du FMI.
Dans l’Algérie de 2010, la paupérisation et le dénuement social sont visibles à l’œil nu. Le marché informel se développe, ainsi que les zones de non-droit, la prostitution et la drogue. Les affaires éclaboussant des ministres et des hauts responsables d’entreprise (Sonatrach, onzième compagnie de pétrole au monde), s’étalant à la une de la presse algérienne, sont dans toutes les bouches. Et ce, dans un contexte de flambée des prix des denrées de base sans précédent : plus de 17 % pour les fruits et légumes et plus de 9 % pour les autres produits alimentaires. Alors que les salaires stagnent et que le chômage reste à un niveau élevé, surtout parmi les jeunes diplômés, victimes d’un ascenseur social en panne. Nasser a trente ans. Et toujours pas de travail. Sa licence de sciences économiques « ne lui sert à rien », dit-il. Il enchaîne des stages de formation spécialisée dans la gestion dispensés par des organismes privés, nés dans la foulée de la libéralisation économique. Comme beaucoup de jeunes, il songe à partir. « Parfois, j’ai envie de devenir un haraga (ceux qui brûlent), mais je n’en ai pas le courage. » Les garde-côtes algériens ont maintes fois secouru en pleine mer des haragas embarqués sur des Zodiac, voire de simples barques, pour rejoindre les côtes espagnoles ou italiennes munis de pauvres gilets de sauvetage et de téléphones portables. Parfois, la mer rejette des cadavres. L’un d’eux a ému l’Algérie entière : dans son téléphone, il y avait un message à sa copine italienne, dont la photo se trouvait parmi ses papiers protégés par du plastique. Et quand ces haragas réussissent à passer, il arrive que l’événement soit fêté dans leur quartier.
Omar, vingt-huit ans, en est un. Il a été repêché au large d’Oran par des garde-côtes algériens. Présenté devant un tribunal, il a écopé de trois mois de prison avec sursis. « Hamdoulilah (Dieu merci), je suis vivant. J’ai vu la mort de près », explique-t-il. Pour payer le passeur (1 000 euros), il a emprunté, vendu des vidéos au marché noir, du petit matériel électroménager de contrebande. Aujourd’hui, il dispose d’une allocation mensuelle de 15 000 dinars pour une durée d’un an, dans le cadre du dispositif préemploi mis en place par les autorités pour endiguer le chômage des jeunes. « C’est mieux que rien », commente-t-il. Mais tous les jeunes n’en bénéficient pas. Ce qui donne lieu parfois à de violentes manifestations, comme ce fut le cas en janvier à Naciria en Kabylie.
Ces émeutes sociales qui secouent le pays, l’emploi, l’état des routes, le logement, en résumé l’absence de perspective, sur fond de corruption et d’inertie des élus locaux, sont autant de motifs poussant des Algériens à bloquer des routes, faire le siège de mairies, afin de se faire entendre. Et parfois ça paie, comme ce fut le cas en octobre 2009 à la cité de Diar Echems à Alger (1 500 familles entassées dans des deux-pièces), où l’État s’est engagé à reloger les habitants après deux jours de violences.
« Un pays riche et une population pauvre », comme l’a titré El Khabar ? Sans doute. La question est dans tous les esprits. « 140 milliards de dollars de réserve de change, c’est pas rien ! » lance Farid. « Mais on n’en voit pas la couleur », poursuit-il. Le gouvernement algérien paraît dépassé. Il pare au plus pressé. Mais, faute d’une réelle politique de développement fondée sur l’investissement productif privé et public, l’Algérie (dixit le FMI) enregistre le taux le plus bas de création d’entreprises au niveau maghrébin : 30 entreprises créées pour 100 000 habitants, contre plus de 300 au Maroc ! C’est peu pour faire face à l’arrivée de près de 300 000 jeunes par an sur le marché du travail.