C’est avec étonnement que je viens de lire dans le quotidien national, El Watan, une mise en garde de M. Sid-Ahmed Ghozali, à propos du risque d’effondrement de l’Algérie. Si le culot existait, il est réincarné dans cette déclaration. C’est comme si la famille Krupp réagissait, un demi-siècle plus tard, au danger que font courir les totalitarismes armés, après avoir contribué à l’essor d’Hitler. C’est tout simplement stupéfiant !
Les plus jeunes ne pourront jamais imaginer les sommets qu’avait atteints le personnage, lors de la grande expansion de la rente pétrolière. Aucun nom n’était aussi connu dans les milieux industriels que celui de Sid-Ahmed Ghozali qu’on osait à peine chuchoter tant il était redoutable de son prestige et de la crainte qu’il suscitait.
Il n’est pas un mercenaire comme l’image véhiculée dans la mémoire collective, celui du barbouze grossier et sans scrupule. Non, Monsieur Ghozali n’a jamais assassiné personne ni participé, de près ou de loin, aux sanglantes répressions du régime militaire. Il occupait un poste en col blanc et contribuait à la grande économie pétrolière, de son talent et de ses rencontres avec ce qu’il y avait de plus important en personnalités mondiales, politiques et industrielles.
Sid-Ahmed Ghozali était le gendre parfait, poli, admiré et dont la puissance était ressentie comme immense en engendrant respect et flagornerie. Si, maintenant, la jeune génération algérienne côtoie tous les jours la puissance de l’argent des hommes d’affaires, elle est à mille lieux de réaliser ce que fut le maître de l’empire gigantesque de la Sonatrach, à cette époque. Celui qui en était à sa tête était fantasmé, courtisé et respecté (comme on peut l’être lorsqu’on a peur) comme rarement le fut un personnage économique.
Il oublie facilement ce que notre mémoire ne peut effacer. Sid-Ahmed Ghozali n’a jamais eu le moindre scrupule de servir, au plus haut sommet de l’économie pétrolière, un régime qui n’a cessé d’assassiner et de broyer la population. Jamais il ne s’est senti mal à l’aise d’être l’instrument d’un dictateur dont il doit la nomination et le maintien pendant de si longues années. Il n’a jamais entendu les cris de souffrance de ceux qu’on mutilait dans les prisons atroces de la sécurité militaire. Il n’a jamais entendu parler des assassinats politiques, de la corruption et du musèlement des consciences. Monsieur Ghozali avait les mains propres, il dirigeait l’économie pétrolière, lui, pas les caves des tortionnaires. Son rôle de grand patron était d’amasser la richesse pétrolière, sans jamais se poser de questions.
Bien entendu que les débuts de sa carrière correspondaient à une extraordinaire croyance collective de contribution à la richesse nationale, celle qui permet l’ouverture d’écoles, de bâtir des hôpitaux et de créer des infrastructures dont la nation rêvait. Cela n’est pas à mettre en doute, il était à sa bonne place.
Mais le grand patron de la Sonatrach ne pouvait ignorer la dérive sanglante et brutale du régime. Le niveau de formation et l’intelligence qui est la sienne ne pouvaient ignorer que son rôle était de financer une dictature qui commençait, déjà à l’époque, de nourrir une gigantesque corruption, bâtie sur la terreur et le sang. Et s’il l’ignorait, il était bien le seul.
Mais ce n’est pas au début, tout à fait légitime et mérité pour cet homme de talent, que la complicité de crime est avérée. L’accusation prend forme pour les périodes ultérieures puisqu’il n’a jamais semblé être perturbé par la sale besogne (indirecte) de sa fonction. Par exemple, il ne s’est jamais fait à l’idée qu’un autre que lui pouvait revendiquer des compétences de ce niveau et n’a jamais été surpris d’une fonction presqu’à vie, solidement garantie par un régime militaire. Pourtant, de vraies compétences existaient dans le pays, souvent d’une solidité bien plus affirmée, car plus récentes. Au contraire, il en a rajouté, comme une drogue sans laquelle on ne peut survivre.
Errare humanum est, perseverare diabolicum, c’est donc dans la perpétuation de la faute que se trouve le crime. Fort de sa réputation et, comme tous ceux qui ont goûté à l’ivresse des sommets, le voila reconverti dans la politique à un moment où des fortunes plus connues par la jeunesse algérienne ont commencé à apparaître, sans que le régime brutal ne disparaisse. Si dans la première période, il pourra toujours tromper son auditoire en affirmant son extériorité à la dictature, ce sera impossible pour la seconde partie de sa vie publique.
La dernière fois que j’ai entendu parler de Sid-Ahmed Ghozali, c’était dans un tribunal où il était "témoin de moralité" au procès du général Nezzar. Et ce Monsieur vient aujourd’hui nous informer que l’Algérie s’effondre…
A quand la veuve du colonel Boumédiene de venir nous annoncer que l’Algérie va dans le gouffre ?
Sid Lakhdar Boumédiene