Il est, en effet, fantasque de s’émouvoir, à partir d’Abuja, sur le sort des Sahraouis « brimés et empêchés de manifester par l’occupant marocain» quand,
J’y ai vu des hommes respectables incarcérés pour avoir choisi le mauvais camp durant la campagne électorale, j'y ai vu des militants berbéristes ou de simples fils du peuple, sans opinion politique, incarcérés pour avoir exhibé leur mécontentement devant la gestion chaotique de leur cité et qu’on a préféré enfermer plutôt qu’écouter. Ces pauvres gens, démunis d’espoir et de moyens, fils d’une Algérie injuste, arrivaient par cohortes entières à la prison, dépenaillés, ébaubis, surpris de tant de sévérité pour quelques minutes de colère, stupéfaits qu’on leur refuse le droit de râler dans un pays où le droit à l’expression est pourtant garanti par la Constitution. Les juges les frappent généralement de lourdes peines, moins pour délit de mauvaise humeur que pour l’exemple : le pouvoir politique tient à tuer dans l’œuf les embryons de contestation populaire. Ils séjournent quelques mois ou quelques années dans des cellules insalubres et en ressortent plus désespérés que jamais.
Le plus grotesque est que le discours d’Abuja était lu par celui-là même qui couvre ces atteintes à la dignité humaine : le ministre de la Justice, Tayeb Louh, un proche de Bouteflika connu plus pour ses intrigues que pour ses compétences. J’imagine qu’il a dû sangloter en évoquant le calvaire des jeunes sahraouis, pendant que son administration signait des billets d’écrous de dizaines d’Algériens, chômeurs ou opposants, qui ont eu l’impudeur de râler contre le règne du clan qui dirige le pays.
Tout ça pour dire que le pouvoir de Bouteflika a sans doute tort de reposer ses espoirs de longévité politique sur la seule esbroufe. On ne peut être et avoir été. Même à Alger, patrie de la pantomime, où chacun feint quelque chose, le détachement ou le bonheur, le flegme ou la joie de vivre, Alger capitale du mimodrame où l’on fait mine de jouer un rôle dans la désignation de nos dirigeants qui, en retour, simulent de gouverner pour notre bien. Ou de gouverner tout court, quoique, par lassitude sans doute, le chef de l’État n’y met même plus les formes, lui qui se plaît à gouverner en peignoir, ou en pyjama. Du coup, le pyjama devient la tenue officielle de gouvernance, c’est pratique, paraît-il, le pyjama, quand on parle de stratégie militaire avec le chef d’état-major ou de gestion économique avec le Premier ministre qui, lui, portait costume-cravate.
La consécration du pyjama en tant qu’uniforme institutionnel a d’ailleurs été constatée la semaine dernière par un confrère vigilant qui a surpris le président de la République, en violation des nouvelles règles vestimentaires de la gouvernance algérienne auxquelles nous commençons à être habitués, en costume-cravate pour recevoir le ministre émirati de la Culture lequel était, cela va de soi, en tawb, la gandourah blanche et en keffieh. Il était pourtant précisé dans la dépêche de l’agence de presse que ledit ministre émirati rendait une simple « visite fraternelle » au président algérien. J’ignore comme vous ce que veut bien dire « visite fraternelle » en politique, mais le fait est que le message est bien passé : le pyjama c’est pour parler de stratégie militaire et économique ; le costume-cravate pour recevoir en visite fraternelle.
Et puis, dans Alger capitale de la pantomime, l’habit fait le moine et même le patrimoine ! C’était depuis que notre président travaille en pyjama qu’on n’entend plus parler des poursuites judiciaires contre les ministres délinquants. C’est à peine si quelques-uns parmi nous ont souvenance d’un vague ministre du pétrole recherché par la justice italienne et par Interpol pour avoir, le bienheureux, collectionné, durant les dix dernières années, propriétés dans l’État du Maryland et placements bancaires. C’est dire le changement de style !
C’est pourquoi, petits et grands voleurs militent pour la gouvernance en pyjama pour cinq autres années, le temps que les amis se fassent oublier. Pour l’heure, avec Tayeb Louh à la Justice, celui du discours déchirant d’Abuja, les voleurs ne risquent rien. Mais avril, avec les temps qui courent, c’est demain ! Et il faut répéter à ceux qui ont la mémoire courte et les dents longues, que la gouvernance en pyjama a encore de beaux jours devant elle et qu’un parrain protecteur en peignoir ou en pyjama vaut mieux que l’adversaire en costume-cravate. Aussi, même s’ils ne s’entendent que sur peu de choses, le Premier ministre Abdelmalek Sellal et le nouveau chef du FLN, l’inégalable Amar Saadani, répètent d’une même voix le crédo de l’automne : « Bouteflika ne partira pas ! » Et tant pis pour les bonnes pommes qui ont versé des larmes devant le douloureux mea culpa de Sétif, « Tab Djnana ! »
Bien entendu, l’élection de Bouteflika pour le quatrième mandat sera transparente et totalement démocratique. C’est ce que vient de promettre l’autre Tayeb du gouvernement, Belaïz, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, qui vient de refuser la demande des partis de l’opposition de confier la mission d’organisation des présidentielles à une commission indépendante. « Partout dans le monde, même dans les pays les plus démocratisés, c’est à l’administration qu’échoit la mission d’organiser et d’encadrer le processus électoral», a-t-il déclaré sans rougir, comme pour rappeler qu’il n’a pas été désigné à ce poste pour du beurre.
Comme chacun sait, l’administration Bouteflika, depuis Zerhouni, est reconnue mondialement comme favorisant la libre expression des électeurs. En tous cas, ils sont quelques-uns à le croire, parmi lesquels nos amis Benbitour, Sofiane Djilali et, contre toute attente, Yasmina Khadra qui entend s’imposer sur la scène politique algérienne en tant que maître de la fiction.
Mais laissons ça pour la prochaine chronique.
Mohamed Benchicou