En levant l'état d'urgence en février 2011, les autorités algériennes ont voulu donner l'impression d'avoir laissé derrière elles les sombres années de violence de la "décennie noire". Mais la marche vers la modernité et l'Etat de droit n'était pas pour autant entamée.
Pour Mouloud Boumghar, professeur de droit international et membre du CFDA, cette levée est plus formelle qu'effective. Car comme l'indique le rapport , la levée du décret n'a mené à aucune amélioration dans l'exercice des libertés de réunion et de manifestation. Les manifestations sont toujours interdites sur la voie publique.
"L'Algérie est en régression", explique le professeur de droit. Le meilleur exemple est l'évolution de la liberté d'association depuis la mise en place, en janvier 2012 de réformes "pour le changement démocratique". Le rapport explique comment l'arrivée de ces nouvelles lois a fait basculer l'Algérie dans un régime non plus de "déclaration" mais d' "autorisation". Ainsi, pour être validée, une association doit s'engager à ne pas s'occuper des affaires internes du pays sous peine d'être dissoute. C'est le cas du CFDA.
Par ailleurs, toute appartenance, ou soutien, à une association non autorisée est punie par la loi. Ce "délit de solidarité" a valu au militant des droits de l'Homme, Abdelkader Kherba, une condamnation en mai dernier à 6 mois avec sursis et 20 000 dinars d'amende (soit plus d'un smic en Algérie) pour appartenance à une association non autorisée.
Tombées dans la clandestinité malgré eux, les associations sont victimes de menaces au quotidien. D'après Nassera Dutour, porte-parole du CFDA, la police a arrêté en pleine journée devant chez lui, un jeune militant qui fréquentait le bureau du collectif à Alger. "Quelques jours après son arrestation un garde de la sécurité est venu me voir et m'a dit: 'Alors il vient toujours chez vous ou il a compris la leçon?' " Mais la contestation ne faiblit pas
"Il ya une banalisation des arrestations, mais nous ne renonçons pas à notre droit de manifester. Il y a encore quelques jours, nous avons été tabassés par la police alors que nous manifestions pacifiquement", témoigne Idriss Mekkideche, qui a participé à plusieurs manifestations de travailleurs précaires. En plus d'être systématiquement arrêtés, les participants sont victimes d'intimidation via des politiques de fichages: "on nous traite de 'collaborateurs'. On se sent surveillés dans notre travail, chez nous, partout. Les autorités n'hésitent plus à s'immiscer dans la vie syndicale et encouragent les employés à ne pas choisir de syndicats indépendants", explique-t-il. Mais ces obstacles ne les ont pas fait faiblir. Cette semaine encore, des militants se sont donnés rendez-vous devant le siège présidence de la république et devant la Grande Poste.
Le pouls de l'indignation algérienne ne cesse donc pas de battre. "Non seulement cette indignation est bien présente mais la contestation et l'action aussi", s'exclame Mouloud Boumghar. Moins spectaculaire que la révolte égyptienne ou tunisienne, la force de la contestation algérienne réside dans sa dynamique non-violente, "le régime a peur des combats pacifiques, car il n'a plus l'excuse du risque de la violence sociale et du terrorisme. Il ne peut plus jouer avec la peur des gens."