À l’approche de la présidentielle 2014, la configuration des forces politiques, qui manœuvrent pour occuper les devants de la scène, en coulisse pour les uns, au grand jour pour les autres, se dirige vers un trivium inédit : des islamistes comploteurs embusqués, d’une part, un face à face DRS-Benbitour exposé à toutes sortes de pressions et de compromis, d’autre part.
Par DRS, il faut entendre toutes les formations politiques organiques, civils, qui gravitent autour de l’équipe présidentielle et qui lui servent de caution pour meubler la façade démocratique, d’une part, l’État Major de l’ANP et toutes les forces de sécurité, tous corps armés confondus, noyautés par le centre de commandement du DRS lui-même, d’autre part.Voilà à quoi ressemble actuellement le système de pouvoir algérien, dont le rôle principal dans la prise des décisions incombe au DRS dans une association informelle et arbitraire avec l’État Major de l’ANP. En somme, une autorité despotique, aux décisions sans autres fondements que sa préoccupation a gardé le contrôle du pouvoir.
C’est ainsi que l’équipe gouvernementale est choisie selon cet objectif en fonction de son bon vouloir. De ce fait, Bouteflika a été choisi en fonction de cet objectif et continuera à l’être tant qu’il continue à assurer la mission pour laquelle il a été choisi, ainsi que tous les partis politiques qui ont été agrémentés et admis pour meubler la façade démocratique.
À commencer par leur intronisation dans l’assemblée nationale pour valider les décisions prises dans les coulisses du pouvoir occulte. C’est ainsi, aussi, que sont choisies les personnalités civiles, qui auront pour mission de meubler les institutions nationales, régionales et locales, par un système de fraude électorale savamment rodé et maîtrisé.
En contrepartie, ils bénéficieront d’une part de la redistribution de la rente en des salaires conséquents, avec tous les privilèges liés à leur fonction, sous forme d’absence de contrôle et de sanction sur la corruption dans les transactions des marchés publics et dans la gestion du logement social et du foncier local. En retour, ils doivent assurer la promotion et la propagande au profit du système de pouvoir auquel ils sont structurellement liés et qui leur garantie la survie et l’impunité dans toutes sortes de malversations, auxquelles ils sont conviés par ce même système qui les emploie pour service rendu.
Même si cette configuration du pouvoir central a été quelque peu affaiblie par les manœuvres d’un Bouteflika, aux liens très étroits avec certains membres influents du système, qui lui a conféré une moindre part sur le pouvoir de décision, celle-ci retombera sur ses pieds dès son départ de la présidence.
À l’occasion des présidentielles de 2014, le système de pouvoir devrait être en ce moment même en train de manœuvrer pour assurer le remplacement de Bouteflika, dans le cas d’une éventuelle défection pour une raison ou une autre. D’abord en raison de la détérioration de son état de santé, qui n’est plus un secret pour personne, depuis longtemps déjà.
Au su de tout le monde, son rôle se limite à des missions mondaines, de célébration des dates commémoratives ou l’accueil formel des visiteurs étrangers venus en mission officielle. D’autre part, à cause de la lourdeur d’un deuxième viol de la constitution, pour lui permettre de se représenter encore une quatrième fois à la candidature de la présidence de la république. À ce propos, sa succession à lui-même peut être résolue par une prolongation de la durée du mandat présidentiel, à l’occasion de la révision de la constitution en cours, comme le rapporte la rumeur, dans le cas où son état de santé continuerait à lui permettre d’assumer ce rôle.
De toute évidence l’offensive de la campagne de propagande électorale du système de pouvoir a déjà été lancée à son profit et ses clients, parmi les cercles les plus fervents qui gravitent autour de son centre, chargés de cette besogne, sont déjà à pied d’œuvre. Il s’agit en fait pour eux de vendre à un électorat désabusé et dépolitisé un discours populiste articulé autour de deux principaux slogans, qui visent à satisfaire les schèmes mentaux structurant l’imaginaire collectif, qui repose su des représentations figées du système de pouvoir et par quoi il est identifié.
Ce sont des schèmes mentaux articulés autour de valeurs politiques, supposées ou réelles, dans lesquels ils sont aliénés au point de ne pouvoir le penser autrement. Ces valeurs politiques sont puisées dans les catégories patriarcales, qui doivent faire admettre à l’électeur potentiel, le rôle de patriarche, assumant sa responsabilité de père de la Nation, au système de pouvoir. Sur le plan moral, d’abord, c’est la lutte contre la corruption qui est convoquée, allant jusqu'à faire oublier à l’électeur potentiel que c’est le père lui-même qui est l’auteur de cet acte immoral. Sur le plan sécuritaire, ensuite, où, c’est l’engagement dans la préservation de la souveraineté nationale, par la menace de la cessation du Sud et de la déstabilisation de la société, qui seront instrumentalisées.
À cette occasion, la contestation sociale de la population du Sud sera instrumentalisée au profit de la propagande, en évoquant un complot qui viserait la scission du territoire national entre le Sud et le Nord. Luisa Hanoun, la plus fervente dans le domaine de la propagande au profit du pouvoir a réussi l’exploit de joindre ces deux valeurs, pour les fusionner en une seule occasion, notamment, en considérant que les délits de corruptions présumés, attribués à Chakib Khelil et ses complices, sont le produit d’un complot extérieur qui vise à attenter à la souveraineté nationale.
L’efficacité de cette stratégie, d’appliquer des catégories patriarcales dans la propagande électoraliste, vise un but inavoué, qui est celui d’inhiber chez l’électeur toute lucidité à la contestation radicale de l’illégitimité du pouvoir et le prédisposer à intérioriser et à refouler l’évidence de la fraude massive aux échéances électorales et de s’abstenir à la dénoncer avec rigueur.
Cette stratégie de délégitimation de la contestation sociale de la population du sud, vise en effet un double objectif. En plus de distiller sa propagande envers cette population, c’est de la délégitimation d’un concurrent sérieux à la course au pouvoir qui est visée. En fait, les accusations des propagandistes du système de pouvoir, lancées contre le mouvement de contestation sociale de la population du sud, ne sont pas entièrement dénuées de tout fondement.
Effectivement, cet autre concurrent, que l’on peut aisément deviner et qui est un islamisme politique embusqué, serait effectivement aux manœuvres derrière ce mouvement de contestation sociale des populations du sud. Complot ou pas ! il y a réellement une volonté d’instrumentaliser ce mouvement social, de la part d’idéologues islamistes radicaux, embusqués dans l’ombre, pour mobiliser la population du sud, pour ensuite faire la jonction avec la population du Nord.
Leur but est de gagner à leur profit la mobilisation populaire, pour l’inciter à se soulever par la suite et à s’en servir comme levier dans leur quête du pouvoir et non pas pour une quelconque cessation comme le prétendent les propagandistes du pouvoir. Effectivement, les populations du Sud s’y prêtent facilement à ce jeu, comme point de départ de la mobilisation populaire, pour plusieurs raisons. D’abord, pour la faiblesse de leur maillage par les partis politiques et ensuite, pour leur prédisposition à cautionner l’islam politique, dont ils continuent à être fortement imprégnés par son idéologie religieuse, du fait, qu’ils n’ont pas été traumatisés dans les mêmes proportions que les populations du Nord par les effets de la décennie des violences meurtrières et destructrices.
En éloignant d’eux toute suspicion de leur manipulation par les islamistes et au pire l’accepter. Bien sûr, il y a le sentiment d’injustice renforcé par le fort taux de chômage qui les frappe. Cependant, leur instrumentalisation par les islamistes reste sournoise de la part de ces derniers, et s’effectue donc dans une ambiguïté ambiante, dont seuls les leaders sont complices, qu’ils soient meneurs des organisations syndicales dans le Sud ou même dans le Nord, ainsi qu’un nombre important de militants des droits de l’Homme. Le noyau dur de ce mouvement islamiste embusqué se situe autour d’anciens militants du FIS en exil et particulièrement Mourad Dhina et son organisation des droits de l’Homme « Karama » située à Genève, qui n’est en définitive qu’un satellite de l’organisation mère Karama, fondée et financé par le Qatar et dont le siège se situe à Doha. Autour de lui, gravitent d’autres organisations, tels que Rachad, ainsi qu’un travail de maillage de la population émigrée par des associations créées en la circonstance. En Algérie, c’est autour du FCN et une nébuleuse d’associations que ce mouvement s’active.
Suite, à la propagande du pouvoir de les faire apparaître aux yeux de l’opinion publique desécessionnistes, pour briser leur offensive, les islamistes ont réagi par une contre offensive propagandiste, qui s’est résolue à mettre en avant le slogan : « nous sommes pour l’unité nationale », pendant les rassemblements et les marches populaires.
D’un autre côté, pour prévenir toute répression, qui serait justifiée par un trouble à l’ordre public, qui viendrait mettre à mal leur projet de mobilisation populaire, ils ont avancé le slogan : « notre contestation n’a rien de politique, elle est exclusivement sociale ». Ce deuxième slogan vise en définitive deux objectifs à la fois, d’abord, éviter la répression, ensuite, ne pas devoir dévoiler l’idéologie de leur combat politique, pour ne pas désolidariser la population, qui ne participe pas à leur idéologie.
Leur objectif premier étant la mobilisation populaire pour faire tomber le système politique dans la neutralité idéologique apparente. Ce n’est que dans un deuxième temps, qu’ils envisagent de s’imposer, par le faite accompli, comme les principaux initiateurs de la chute du système.
L’intensification de leur mouvement de contestation et de mobilisation populaire aujourd’hui semble répondre par la précipitation, comme un vent de panique, à l’offensive du courant démocrate séculier initié par la candidature d’Ahmed Benbitour à la présidentielle de 2014, qui met l’accent sur une stratégie de mobilisation citoyenne pour le changement du système de pouvoir pacifiquement et par les urnes.
À ce propos, ils se présentent comme les principaux pourvoyeurs de la propagande, qui fait passer la candidature d’Ahmed Benbitour pour un « complot DRS-Benbitour », pour assurer la succession de Bouteflika et reconduire le statu quo. À l’accusation de complot sécessionniste par le pouvoir, ils lui répondent par l’accusation de complot DRS-Benbitour en montant au front de la mobilisation populaire et l’action de l’occupation de la rue. Ainsi, ils attaquent sur deux fronts à la fois, mobiliser la population pour faire chuter le système et décrédibiliser l’action d’Ahmed Benbitour, pour inciter la population à rejeter son initiative.
Ahmed Benbitour, de son côté, contemple avec détermination et sérénité ce tumulte désolant à la quête du pouvoir de ses adversaires, en se contentant de répondre au coup par coup, sans trop de ménagement, tellement que les stratégies sournoises de ses adversaires sont réduites à un vieux jeu appartenant à une époque révolue.
Il dira à cet effet, lors de sa dernière sortie à Bordj Bou-Arréridj : « je suis le candidat du peuple » pour bien marquer ses distances avec le pouvoir et insister sur le fait qu’il n’acceptera aucun compromis avec l’armée, dont il envisage de moderniser les structures dans son programme et lui imposer un ministre de la défense civil pour la tenir à distance du pouvoir.
D’un autre côté et pour répondre à ses deux adversaires à la fois, il dira à propos de la contestation des chômeurs du sud, que leurs revendications sont légitimes et que ce n’est pas avec des sommes d’argent que l’on arrivera à régler les problèmes. « Il faut un programme complet et bien étudié qui touchera l’école, la santé et d’autres secteurs de la vie quotidienne. » Disqualifiant les réponses démagogiques a ce problème, à la fois des uns et des autres.
Youcef Benzatat