Les choses sont-elles en train de bouger dans le bon sens ? L’avenir le dira, mais ce qu’a affirmé, il y a trois jours, Sid Ahmed Ghozali dans la presse étrangère est un petit pas de plus sur le chemin de la démocratie et de la vérité.
La crédibilité de monsieur Ghozali est tombée à zéro depuis qu’il s’est compromis avec les généraux en 1992. Rejeté par tous, «lâché», il se sent désobligé après de bons et loyaux services pour le pouvoir occulte. Faute de soutien de ses anciens parrains, son parti n’a jamais vu le jour. Comme un animal blessé, un homme trahi et rancunier peut devenir très dangereux ; pour ses anciens amis, cela va de soi. Certaines de ses déclarations sont à ce titre extrêmement importantes. Le statut du harki du système qu’il s’était attribué publiquement et qu’il attribua à tous les commis de l’État algérien était une dénonciation virulente qui débordait de vérité. Elle est même devenue une formule consacrée.
Il y a trois jours donc, sur les colonnes de l’humanité, l’ancien chef de gouvernement, récidive et tire avec une ogive de calibre plus grand. L’ex grand commis de l’État algérien déclare que le régime algérien est de nature sécuritaire. En clair, c’est le DRS du général Toufik qui détient la réalité du pouvoir. Tous les ministres et tous les commis de l’État ont été nommés avec l’assentiment des services de sécurité. Le président Bouteflika est une vitrine politique qui endosse les responsabilités, mais il a les mains liées, il ne peut rien entreprendre s’il n’a pas l’aval de Toufik. Cette situation est connue par la classe politique et fut mainte fois dénoncée par des intellectuels au temps où Ghozali lui-même était au pouvoir. Elle se résume par la formule succincte du professeur sociologue Addi lahouari : «Il est interdit au président de faire de la politique…»
Cependant l’éclairage supplémentaire que monsieur Ghozali apporte sur le vrai pouvoir glace le sang. Selon lui, le général Toufik, dont il n’ose pas cité nommément – un instinct de survie qu’il traîne probablement depuis la mort de Boudiaf et de quelques officiers supérieurs… – s’est constitué une armée de 2 millions d’individus invisibles avec l’argent du pétrole et avec des moyens peu orthodoxes. Entre militaires engagés, agents secrets, d’affidés prédateurs, commis poltrons de tout poils, journalistes vénaux, intellectuels véreux, délateurs, indicateurs, etc., le général Toufik commande à lui seul une armée qui n’existent nulle part dans les textes de la loi. Il est plus puissant que le ministre de la Défense. Sournoisement, avec le feu et l’argent, il est arrivé à créer un parti « clandestin » tentaculaire, plus important en nombre que l’effectif de l’armée nationale populaire. Aucune force politique aucun acteur politique n’échappe à son contrôle ou à sa surveillance. Tout le monde s’incline devant lui même en cas de dépassement grave, de tortures ou de violation flagrante de la Constitution. Et Bouteflika qui disait qu’il ne voulait pas être un trois quart de président. Il est loin du compte… Malgré le statut de président demi-portion de Bouteflika, ce n’est pas lui la dinde de la farce, c’est le peuple : il vote pour rien. C’est Toufik et son armée qui commande.
Le dernier qui a donné un chiffre astronomique qui dérange le pouvoir fut banni du territoire national. L’auteur des 26 milliards qui sont partis en fumée, monsieur Abdelhamid Brahimi, un autre ex-chef de gouvernement, a payé très cher son courage. Il vit en exil depuis belle lurette dans l’indifférence générale de la classe politique. Espérons que Ghozali est de la même trempe et qu’il a du ressort pour éclairer davantage le peuple algérien sur l’emprise du «parti clandestin» sur le pays et ses richesses. Le peuple saura accepter les sacrifices expiatoires qui le délivrent de ses chaînes visibles et invisibles.
Source : « Nous ne sommes pas sortis de l’ère néocoloniale », Sid-Ahmed Ghozali, Humanité