Les islamistes du PJD, menés par Abdelilah Benkirane, ont remporté les élections législatives marocaines. Tunisie hier, Egypte peut-être demain... L'islam politique progresse partout. Mais il lui reste à faire ses preuves.
Dans le magma des révolutions arabes, le Maroc occupe une place éminemment privilégiée et suit un parcours que les gouvernements occidentaux scrutent avec une attention particulière. Car le processus constitutionnel entamé par Mohammed VI soulève un espoir à proprement parler unique. La diplomatie française ne se lasse pas de montrer du doigt ce "modèle" en plein devenir, qu'elle juge déterminant pour le reste du monde arabe. A la fois taraudé par le terrorisme de type djihadiste, menacé par un taux de chômage dévorant (qui touche 30 % des moins de 35 ans) et miné par une corruption endémique, le royaume chérifien offre toutes les caractéristiques du problème global des sociétés de la Méditerranée du sud, tout en présentant de nombreux atouts spécifiques, au premier rang desquels sa capacité à accomplir une "révolution tranquille". Un cas d'école, en quelque sorte.
Ce n'est donc pas avec surprise qu'il faut accueillir les résultats des dernières élections législatives qui viennent de s'y dérouler. En emportant 107 sièges sur les 395 que compte le Parlement, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), ouvertement islamiste, fait son entrée en fanfare dans le cadre de la toute nouvelle Constitution, concédée par le Roi et approuvée par référendum en juillet dernier. Soit. Mais son chef, Abdelilah Benkirane, tire en grande partie profit du fait que le PJD n'a encore jamais participé à un gouvernement ; ce qui épargne à ce mouvement le discrédit général qui frappe la classe politique traditionnelle, mais résume aussi toute la complexité de l'inconnue islamiste. Benkirane est l'auteur de coups de sang et de formules lapidaires - n'a-t-il pas tonné, en juin 2011, à l'encontre des homosexuels, "nous leur appliquerons les châtiments de Dieu" ? Il éructe contre les festivals de musique et les stars dévêtues.
Les islamistes ont renoncé à interdire l'alcool et à imposer le voile
Toutefois, il affirme dans le même élan son attachement à l'intégrité du royaume et fustige, avec mépris, l'identité amazighe (le grand rameau berbère) pour donner des gages à l'opinion conservatrice. Il a fait campagne contre la corruption - vaste programme -, la réduction du chômage - noble ambition -, la réforme de la justice, de l'enseignement et de la santé - qui serait contre ? Un grand bon sens, au total, sous un habillage religieux que Benkirane a dû revoir à la baisse : il a ainsi renoncé à l'interdiction de l'alcool et à imposer le port du voile aux femmes.
Au Maroc, qui n'est pas un pays laïc, tous les partis en compétition se revendiquent peu ou prou de la religion et font allégeance au roi, qui est le commandeur des croyants. En réalité, le PJD utilise habilement sur le plan électoral ce que la plupart des Marocains ont en commun : une référence profonde à la religion musulmane, un patriotisme fortement teinté de nationalisme et un attachement a priori indéfectible à la monarchie. Décidément résolu à composer, Abdelilah Benkirane évoque, dès qu'il le peut, l'attachement à la France.
Faut-il vraiment s'inquiéter de tant de contradictions ou, plutôt, les recenser calmement? Rappelons que, pour gouverner, le PJD devra s'entendre avec d'autres formations au sein d'une coalition qui pourrait s'étendre des socialistes aux conservateurs de l'ancien gouvernement de Mohammed VI. Les islamistes seront maintenant jugés à leurs résultats ; or ils ont placé la barre assez haut. L'étape institutionnelle est passée, commence l'épreuve de vérité. Après la victoire d'Ennahda en Tunisie, et en prévision de ce qui pourrait se produire en Egypte, le Maroc fait plus que jamais figure de laboratoire de l'émergence démocratique.
Christian Makarian
Dans le magma des révolutions arabes, le Maroc occupe une place éminemment privilégiée et suit un parcours que les gouvernements occidentaux scrutent avec une attention particulière. Car le processus constitutionnel entamé par Mohammed VI soulève un espoir à proprement parler unique. La diplomatie française ne se lasse pas de montrer du doigt ce "modèle" en plein devenir, qu'elle juge déterminant pour le reste du monde arabe. A la fois taraudé par le terrorisme de type djihadiste, menacé par un taux de chômage dévorant (qui touche 30 % des moins de 35 ans) et miné par une corruption endémique, le royaume chérifien offre toutes les caractéristiques du problème global des sociétés de la Méditerranée du sud, tout en présentant de nombreux atouts spécifiques, au premier rang desquels sa capacité à accomplir une "révolution tranquille". Un cas d'école, en quelque sorte.
Ce n'est donc pas avec surprise qu'il faut accueillir les résultats des dernières élections législatives qui viennent de s'y dérouler. En emportant 107 sièges sur les 395 que compte le Parlement, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), ouvertement islamiste, fait son entrée en fanfare dans le cadre de la toute nouvelle Constitution, concédée par le Roi et approuvée par référendum en juillet dernier. Soit. Mais son chef, Abdelilah Benkirane, tire en grande partie profit du fait que le PJD n'a encore jamais participé à un gouvernement ; ce qui épargne à ce mouvement le discrédit général qui frappe la classe politique traditionnelle, mais résume aussi toute la complexité de l'inconnue islamiste. Benkirane est l'auteur de coups de sang et de formules lapidaires - n'a-t-il pas tonné, en juin 2011, à l'encontre des homosexuels, "nous leur appliquerons les châtiments de Dieu" ? Il éructe contre les festivals de musique et les stars dévêtues.
Les islamistes ont renoncé à interdire l'alcool et à imposer le voile
Toutefois, il affirme dans le même élan son attachement à l'intégrité du royaume et fustige, avec mépris, l'identité amazighe (le grand rameau berbère) pour donner des gages à l'opinion conservatrice. Il a fait campagne contre la corruption - vaste programme -, la réduction du chômage - noble ambition -, la réforme de la justice, de l'enseignement et de la santé - qui serait contre ? Un grand bon sens, au total, sous un habillage religieux que Benkirane a dû revoir à la baisse : il a ainsi renoncé à l'interdiction de l'alcool et à imposer le port du voile aux femmes.
Au Maroc, qui n'est pas un pays laïc, tous les partis en compétition se revendiquent peu ou prou de la religion et font allégeance au roi, qui est le commandeur des croyants. En réalité, le PJD utilise habilement sur le plan électoral ce que la plupart des Marocains ont en commun : une référence profonde à la religion musulmane, un patriotisme fortement teinté de nationalisme et un attachement a priori indéfectible à la monarchie. Décidément résolu à composer, Abdelilah Benkirane évoque, dès qu'il le peut, l'attachement à la France.
Faut-il vraiment s'inquiéter de tant de contradictions ou, plutôt, les recenser calmement? Rappelons que, pour gouverner, le PJD devra s'entendre avec d'autres formations au sein d'une coalition qui pourrait s'étendre des socialistes aux conservateurs de l'ancien gouvernement de Mohammed VI. Les islamistes seront maintenant jugés à leurs résultats ; or ils ont placé la barre assez haut. L'étape institutionnelle est passée, commence l'épreuve de vérité. Après la victoire d'Ennahda en Tunisie, et en prévision de ce qui pourrait se produire en Egypte, le Maroc fait plus que jamais figure de laboratoire de l'émergence démocratique.
Christian Makarian