A l'occasion des 50 ans de l'Algérie indépendante, Dominique Lagarde a répondu aux questions des internautes de LEXPRESS.fr. Journaliste à L'Express, elle est l'auteur de "Algérie - La désillusion", paru ce jeudi.
Zaza: Pourquoi la désillusion?
Après une introduction sur l'Algérie d'aujourd'hui, le livre offre une sélection des articles de l'Express pendant la guerre d'indépendance puis après, jusqu'à aujourd'hui. Si nous avons choisi ce titre, c'est que les espérances étaient fortes au moment de l'indépendance et qu'aujourd'hui beaucoup d'Algériens ont le sentiment d'un gâchis. Ils sont convaincus que leur pays si riche aurait pu faire mieux et que leur vie pourrait être meilleure.
Ligberté: L'Algérie n'a que 50 ans d'indépendance, ne peut on pas lui laisser le temps comme tout pays qui a été colonisé pendant 132 ans?
Les Algériens sont impatients... Ils constatent que leur pays est riche et ils enragent d'être si pauvres et de vivre si mal dans un pays qui était celui de tous les possibles. Ce n'est pas à nous de "laisser du temps" ou pas à l'Algérie, c'est aux citoyens de ce pays. Or ceux-ci manifestent tous les jours leur désillusion, notamment en essayant au péril de leur vie, d'aller tenter leur chance ailleurs. Il est difficile de ne pas pointer la responsabilité des dirigeants algériens dans cet état de fait. Ils n'ont pas pris le problème du développement à bras le corps, c'est le moins qu'on puisse dire, et ce sont davantage occuper de se répartir la rente du pétrole.
Allways: Bonjour, la guerre d'Algérie était-t-elle inévitable?
Les Algériens enragent de vivre si mal dans un pays qui était celui de tous les possibles Difficile à dire, on ne peut pas refaire l'histoire. Je crois cependant qu'elle était en effet inévitable, dès lors que l'indépendance, à laquelle aspiraient naturellement les Algériens, était une perspective impensable du point de vue des Français qui avaient fait de l'Algérie un département.
Bous: Pourriez-vous nous donner votre avis sur le fiasco des accords d'Evian? Pourquoi ces accords qui semblaient de bon sens n'ont jamais été appliqués?
Ils n'ont pas été appliqués à cause des extrémistes des deux bords. Politique de la terre brûlée de l'OAS, refus du FLN de laisser un vrai choix aux Français.
Jmleger: Le mal de l'Algérie ne vient-il pas du fait que la France s'est débarrassée du pays comme d'un papier gras en le mettant entre les mains incapables du clan d'Oujda qui exerce encore le pouvoir à ce jour en la personne de Bouteflika, lequel, comme Boumédiène et les autres, n'a participé que très marginalement à la guerre dite de "libération nationale" et qui ne possédait aucune formation pour assurer la gestion d'un pays nouvellement indépendant?
Tout s'est joué au cours de l'été 1962 après les accords d'Evian. Ce sont alors les militaires - l'armée des frontières du Boumediene- qui ont pris le pouvoir. L'armée s'est imposée comme l'arbitre des luttes de factions. Le GPRA issu des maquis de la résistance a été évincé par cette armée. C'est pourtant avec le GPRA que la France avait négociée.
Guiyohm: Après 50 ans indépendance où en sont aujourd'hui les relations entre la France et l'Algérie?
Elles restent passionnelles. Le ton du discours officiel est souvent anti-français. Il ne s'agit pas seulement d'un exutoire facile pour faire oublier les piètres performances du régime. La non reconnaissance par la France des crimes commis pendant la colonisation puis la guerre d'indépendance demeure une souffrance. Ces tensions seront sans doute plus faciles à apaiser lorsque les générations de l'après guerre seront au pouvoir des deux côtés.
Rico: Algérien né en 1980 soit bien après l'indépendance, je me demande sincèrement si l'Algérie ne serait pas dans une meilleure situation si l'évolution avait été similaire a celle des DOM TOM. J'affirme cela sans provocation. Qu'en pensez-vous?
Certains Martiniquais ou Guadeloupéens dénoncent parfois ce qu'ils appellent "le colonialisme de la sécurité sociale"... Je crois vraiment qu'il est heureux que les peuples colonisés soient aujourd'hui indépendants, libres de se gérer eux-mêmes. En revanche, il est évident que les Algériens au pouvoir ont mal géré leur pays. J'aurais tendance à penser que c'est au peuple algérien de demander des comptes à ses dirigeants. Votre question, alors que vous êtes né plusieurs années après l'indépendance, traduit bien le sentiment général de désillusion.
Pitonbo: pourquoi près de 50 ans après l'indépendance, l'Algérie vit-elle encore dans un tel état de misère et de désespoir social, un pays où la jeunesse n'a qu'un seul but : quitter ce pays? Serait-ce parce que les dirigeants n'ont jamais su tourner la page du FLN et se complaisent dans un culte du passéisme?
Je crois que c'est dû surtout à la captation de la rente pétrolière par un petit nombre. L'Algérie vend ses hydrocarbures et achète le reste. Ces tractations font l'objet de commissions. Du coup le pays n'a pas construit une véritable économie susceptible d'offrir du travail à la population, notamment à la jeunesse.
L'armée s'est imposée et reste aujourd'hui la colonne vertébrale du régime Par ailleurs le système politique reste très opaque. Les services de renseignement militaires jouent un rôle clé. Et tous ces dirigeants ont pour principale préoccupation de se maintenir au pouvoir, pas de développer réellement le pays.
dino: Où se trouve le coeur du pouvoir algérien et qui sont les vrais décideurs?
Ce sont les militaires qui sont le coeur du pouvoir algérien. Tout s'est joué au cours de l'été 1962 lorsque l'état-major de l'armée des frontières du colonel Boumediene a entrepris de marcher sur Alger, après les accords d'Evian. L'armée s'est imposée et reste aujourd'hui la colonne vertébrale du régime. C'est elle qui adoube les présidents même lorsqu'elle n'est pas en première ligne.
JMLEGER : Est-ce que je me trompe quand je pense que tout l'édifice économique du pays est construit directement et indirectement sur la rente pétro-gazière? Vous ne vous trompez pas. L'économie reste dépendante de cette richesse pétrolière et gazière qui constitue l'essentiel des exportations. L'Algérie vend son pétrole et son gaz et importe presque tout le reste...
JMLEGER : Je vous demanderai de faire un peu de politique fiction et d'imaginer ce que serait l'Algérie aujourd'hui si elle ne disposait pas de la rente pétrolière et gazière? La question se pose, car au fur et à mesure que les pays consommateurs font des efforts vers l'indépendance énergétique, la demande des ressources énergétique algériennes finira par entamer un déclin. Et alors?...
Franchement, je ne sais pas. Certains pensent qu'il y a une malédiction du pétrole, que les pays riches en hydrocarbures n'entreprennent pas de vraie politique de développement et se contentent de vivre de leur rente, rente partagée par quelques uns au sommet. En revanche je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle les pays consommateurs cesseraient de s'intéresser aux ressources algériennes. Même si les sources énergétiques se diversifient il y aura toujours une forte demande mondiale pour les hydrocarbures. La question serait plutôt de savoir comment fera l'Algérie quand ses puits seront à sec, mais elle a le temps...
Le messie: Je suis Algérien vivant depuis plus de 20 ans en Autriche et je suis toujours étonné de voir qu'il y a une grande majorité de la population qui est pauvre. il n y a aucun investissement ou très peu, donc où vont toutes ces richesses acquises grâce au pétrole?
Les richesses acquises grâce au pétrole servent pour partie à payer des commissions, pour partie à payer les importations d'un pays qui importe à peu près tous les biens de la vie courante et une bonne partie de son alimentation, faute de produire. Enfin il y a aussi des dépenses sociales qui visent à acheter "la paix sociale".
dz06: Pensez-vous que le plus grand mal de l'Algérie vient de sa richesse (pétrole et gaz)?
Non. La richesse est un atout si elle est mise au service du développement. Le problème c'est qu'en Algérie elle n'a pas été mise au service du développement.
Exilé: Que pensez-vous de l'amnistie pour les terroristes qui ont plusieurs crimes a leurs actifs? Et quelles seront les conséquences pour la population algérienne?
Le président Bouteflika a choisi de faire adopter une charte de réconciliation nationale qui blanchit de facto tout le monde: les terroristes et les militaires. Une politique d'indemnisation des victimes a été mise en oeuvre, grâce à l'argent du pétrole. Cela dit, je crois pour ma part que l'Algérie a eu tort de tourner ainsi la page des années de sang sans la lire. Il aurait mieux valu mettre sur pieds une justice transitionnelle sur le modèle de ce qui s'est fait dans d'autres pays avec les commissions Vérité et justice. C'est un avis personnel.
Alger: Est-ce que le Fis est encore un acteur politique important en Algérie?
L'Algérie est restée à l'écart du mouvement des révolutions arabes Il y a en Algérie comme dans la plupart des pays arabes un courant islamiste légaliste. Le FIS n'a pas été ré-autorisé mais ce courant est présent à l'assemblée nationale à travers d'autres formations, islamo-conservatrices.
Nabil1984: La grande majorité d'Algériens savent que le pays est dans cet état à cause des militaires, cependant, ils ne peuvent agir car ils ont le sentiment que ces mêmes militaires ont eu et ont toujours l'appui des occidentaux, qu'en pensez-vous?
Les autorités algériennes et donc les militaires ont incontestablement bénéficié du soutien de l'Occident, singulièrement de la France, dans leur guerre contre les islamistes. En Algérie comme dans beaucoup d'autres pays, les Occidentaux ont eu tendance à soutenir des pouvoirs autoritaires avec l'idée qu'ils étaient des remparts face à l'islamisme. Cela a été aussi le cas avec Ben Ali, en Tunisie. Mais cela n'a pas empêché les Tunisiens de l'obliger à "dégager"... Il n'en reste pas moins vrai que le soutien accordé par nos pays à des dictatures est dommageable au regard de nos propres valeurs.
Aladain: Pensez-vous à un automne algérien comme il y a eu en Tunisie?
Pour qu'il y ait un "automne" algérien encore faudrait-il qu'i y est eu un "printemps". L'Algérie est restée à l'écart du mouvement des "révolutions arabes" qui n'a débouché que sur une série de revendications sociales, vite satisfaites par le régime. Il y a sans doute à cela plusieurs raisons: le spectre de la guerre civile d'abord, les Algériens ne veulent à aucun prix revivre une autre décennie noire comme la décennie 1990. Aussi le fait qu'en Algérie il ne suffirait pas de provoquer la chute du chef de l'Etat pour changer le système...
fleury: Je suis fonctionnaire de la santé publique et j'ai vu mon salaire passer de 44 000 Dinars à 67 000 DA, mais cela n'a rien modifié dans notre offre de soins, je me dis alors que le gouvernement achète notre silence puisque la qualité de vie des Algériens, tout le monde s'en fiche. Alors à quoi sert-il d'augmenter les salaires pour voir la même misère dans les hôpitaux et dans les yeux de nombreux Algériens rongés par la précarité et dans celle des plus démunis, ceux qui n'ont pas où aller pour se soigner à un coût raisonnable. Et ma question est: combien de temps ce pouvoir mettra-t-il pour comprendre que c'est déjà le début de la fin et que plus rien, aucune mesure ne le sauvera du purgatoire et qu'il connaîtra la fin tragique de ses prédécesseurs arabes?
La question est moins de savoir combien de temps mettra ce pouvoir pour comprendre que c'est la fin mais s'il est ou non possible que l'Algérie connaisse à son tour un mouvement du type de ceux qu'ont connu d'autres pays arabes. Le ras-le-bol des Algériens contre la hogra et tout ce que vous mentionnez est réel est profond. Cela ne signifie pas pour autant que les Algériens sont prêts à faire la révolution demain matin.
Falbala: Comment l'Algérie se comporte-t-elle en voyant les voisins secoués par le "printemps arabe"? Sa position par rapport à la famille Kadhafi par exemple? Certains sont allés de réfugier en Algérie, pourquoi?
L'Algérie a soutenu Kadhafi presque jusqu'au bout et fini, récemment, par reconnaître en Libye le Conseil national de transition. Une partie de la famille du raïs libyen est effectivement en Algérie, la fille de Kadhafi s'est vu rappeler son obligation de réserve il y a quelques jours. Je pense que l'Algérie qui a peur du printemps arabe milite tant qu'elle le peut pour le statu quo. Quitte à changer son fusil d'épaule lorsque cette position n'est plus tenable.
Gilbert: Comment expliquez-vous l'indulgence de la communauté internationale face au régime algérien et ses crimes (200 000 morts guerre civile, moine de Tibehirine, attentats à Paris en 1995, etc...) Il est généralement facile pour un régime musclé d'obtenir le soutien des Occidentaux quand il fait valoir qu'il est un rempart contre l'islamisme. La France a soutenu l'Algérie mais aussi la Tunisie. Il y a par ailleurs de trés gros intérêts économique. Le pétrole bien sûr mais aussi tout l'export.
Wassisansoucis: Qui selon vous va reprendre le pouvoir en Algérie après Bouteflika?
Il ne semble pas, pour l'heure, que le pays se dirige vers une révolution. Sans révolution, la succession sera réglée comme cela a toujours été le cas à travers des discussions au sein du sérail et le successeur devra, comme l'avait été Bouteflika, être adoubé par l'armée et ses services. L'actuel Premier ministre pourrait avoir ses chances, mais d'autres aussi.
Par LEXPRESS.fr, publié le 07/10/2011
Zaza: Pourquoi la désillusion?
Après une introduction sur l'Algérie d'aujourd'hui, le livre offre une sélection des articles de l'Express pendant la guerre d'indépendance puis après, jusqu'à aujourd'hui. Si nous avons choisi ce titre, c'est que les espérances étaient fortes au moment de l'indépendance et qu'aujourd'hui beaucoup d'Algériens ont le sentiment d'un gâchis. Ils sont convaincus que leur pays si riche aurait pu faire mieux et que leur vie pourrait être meilleure.
Ligberté: L'Algérie n'a que 50 ans d'indépendance, ne peut on pas lui laisser le temps comme tout pays qui a été colonisé pendant 132 ans?
Les Algériens sont impatients... Ils constatent que leur pays est riche et ils enragent d'être si pauvres et de vivre si mal dans un pays qui était celui de tous les possibles. Ce n'est pas à nous de "laisser du temps" ou pas à l'Algérie, c'est aux citoyens de ce pays. Or ceux-ci manifestent tous les jours leur désillusion, notamment en essayant au péril de leur vie, d'aller tenter leur chance ailleurs. Il est difficile de ne pas pointer la responsabilité des dirigeants algériens dans cet état de fait. Ils n'ont pas pris le problème du développement à bras le corps, c'est le moins qu'on puisse dire, et ce sont davantage occuper de se répartir la rente du pétrole.
Allways: Bonjour, la guerre d'Algérie était-t-elle inévitable?
Les Algériens enragent de vivre si mal dans un pays qui était celui de tous les possibles Difficile à dire, on ne peut pas refaire l'histoire. Je crois cependant qu'elle était en effet inévitable, dès lors que l'indépendance, à laquelle aspiraient naturellement les Algériens, était une perspective impensable du point de vue des Français qui avaient fait de l'Algérie un département.
Bous: Pourriez-vous nous donner votre avis sur le fiasco des accords d'Evian? Pourquoi ces accords qui semblaient de bon sens n'ont jamais été appliqués?
Ils n'ont pas été appliqués à cause des extrémistes des deux bords. Politique de la terre brûlée de l'OAS, refus du FLN de laisser un vrai choix aux Français.
Jmleger: Le mal de l'Algérie ne vient-il pas du fait que la France s'est débarrassée du pays comme d'un papier gras en le mettant entre les mains incapables du clan d'Oujda qui exerce encore le pouvoir à ce jour en la personne de Bouteflika, lequel, comme Boumédiène et les autres, n'a participé que très marginalement à la guerre dite de "libération nationale" et qui ne possédait aucune formation pour assurer la gestion d'un pays nouvellement indépendant?
Tout s'est joué au cours de l'été 1962 après les accords d'Evian. Ce sont alors les militaires - l'armée des frontières du Boumediene- qui ont pris le pouvoir. L'armée s'est imposée comme l'arbitre des luttes de factions. Le GPRA issu des maquis de la résistance a été évincé par cette armée. C'est pourtant avec le GPRA que la France avait négociée.
Guiyohm: Après 50 ans indépendance où en sont aujourd'hui les relations entre la France et l'Algérie?
Elles restent passionnelles. Le ton du discours officiel est souvent anti-français. Il ne s'agit pas seulement d'un exutoire facile pour faire oublier les piètres performances du régime. La non reconnaissance par la France des crimes commis pendant la colonisation puis la guerre d'indépendance demeure une souffrance. Ces tensions seront sans doute plus faciles à apaiser lorsque les générations de l'après guerre seront au pouvoir des deux côtés.
Rico: Algérien né en 1980 soit bien après l'indépendance, je me demande sincèrement si l'Algérie ne serait pas dans une meilleure situation si l'évolution avait été similaire a celle des DOM TOM. J'affirme cela sans provocation. Qu'en pensez-vous?
Certains Martiniquais ou Guadeloupéens dénoncent parfois ce qu'ils appellent "le colonialisme de la sécurité sociale"... Je crois vraiment qu'il est heureux que les peuples colonisés soient aujourd'hui indépendants, libres de se gérer eux-mêmes. En revanche, il est évident que les Algériens au pouvoir ont mal géré leur pays. J'aurais tendance à penser que c'est au peuple algérien de demander des comptes à ses dirigeants. Votre question, alors que vous êtes né plusieurs années après l'indépendance, traduit bien le sentiment général de désillusion.
Pitonbo: pourquoi près de 50 ans après l'indépendance, l'Algérie vit-elle encore dans un tel état de misère et de désespoir social, un pays où la jeunesse n'a qu'un seul but : quitter ce pays? Serait-ce parce que les dirigeants n'ont jamais su tourner la page du FLN et se complaisent dans un culte du passéisme?
Je crois que c'est dû surtout à la captation de la rente pétrolière par un petit nombre. L'Algérie vend ses hydrocarbures et achète le reste. Ces tractations font l'objet de commissions. Du coup le pays n'a pas construit une véritable économie susceptible d'offrir du travail à la population, notamment à la jeunesse.
L'armée s'est imposée et reste aujourd'hui la colonne vertébrale du régime Par ailleurs le système politique reste très opaque. Les services de renseignement militaires jouent un rôle clé. Et tous ces dirigeants ont pour principale préoccupation de se maintenir au pouvoir, pas de développer réellement le pays.
dino: Où se trouve le coeur du pouvoir algérien et qui sont les vrais décideurs?
Ce sont les militaires qui sont le coeur du pouvoir algérien. Tout s'est joué au cours de l'été 1962 lorsque l'état-major de l'armée des frontières du colonel Boumediene a entrepris de marcher sur Alger, après les accords d'Evian. L'armée s'est imposée et reste aujourd'hui la colonne vertébrale du régime. C'est elle qui adoube les présidents même lorsqu'elle n'est pas en première ligne.
JMLEGER : Est-ce que je me trompe quand je pense que tout l'édifice économique du pays est construit directement et indirectement sur la rente pétro-gazière? Vous ne vous trompez pas. L'économie reste dépendante de cette richesse pétrolière et gazière qui constitue l'essentiel des exportations. L'Algérie vend son pétrole et son gaz et importe presque tout le reste...
JMLEGER : Je vous demanderai de faire un peu de politique fiction et d'imaginer ce que serait l'Algérie aujourd'hui si elle ne disposait pas de la rente pétrolière et gazière? La question se pose, car au fur et à mesure que les pays consommateurs font des efforts vers l'indépendance énergétique, la demande des ressources énergétique algériennes finira par entamer un déclin. Et alors?...
Franchement, je ne sais pas. Certains pensent qu'il y a une malédiction du pétrole, que les pays riches en hydrocarbures n'entreprennent pas de vraie politique de développement et se contentent de vivre de leur rente, rente partagée par quelques uns au sommet. En revanche je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle les pays consommateurs cesseraient de s'intéresser aux ressources algériennes. Même si les sources énergétiques se diversifient il y aura toujours une forte demande mondiale pour les hydrocarbures. La question serait plutôt de savoir comment fera l'Algérie quand ses puits seront à sec, mais elle a le temps...
Le messie: Je suis Algérien vivant depuis plus de 20 ans en Autriche et je suis toujours étonné de voir qu'il y a une grande majorité de la population qui est pauvre. il n y a aucun investissement ou très peu, donc où vont toutes ces richesses acquises grâce au pétrole?
Les richesses acquises grâce au pétrole servent pour partie à payer des commissions, pour partie à payer les importations d'un pays qui importe à peu près tous les biens de la vie courante et une bonne partie de son alimentation, faute de produire. Enfin il y a aussi des dépenses sociales qui visent à acheter "la paix sociale".
dz06: Pensez-vous que le plus grand mal de l'Algérie vient de sa richesse (pétrole et gaz)?
Non. La richesse est un atout si elle est mise au service du développement. Le problème c'est qu'en Algérie elle n'a pas été mise au service du développement.
Exilé: Que pensez-vous de l'amnistie pour les terroristes qui ont plusieurs crimes a leurs actifs? Et quelles seront les conséquences pour la population algérienne?
Le président Bouteflika a choisi de faire adopter une charte de réconciliation nationale qui blanchit de facto tout le monde: les terroristes et les militaires. Une politique d'indemnisation des victimes a été mise en oeuvre, grâce à l'argent du pétrole. Cela dit, je crois pour ma part que l'Algérie a eu tort de tourner ainsi la page des années de sang sans la lire. Il aurait mieux valu mettre sur pieds une justice transitionnelle sur le modèle de ce qui s'est fait dans d'autres pays avec les commissions Vérité et justice. C'est un avis personnel.
Alger: Est-ce que le Fis est encore un acteur politique important en Algérie?
L'Algérie est restée à l'écart du mouvement des révolutions arabes Il y a en Algérie comme dans la plupart des pays arabes un courant islamiste légaliste. Le FIS n'a pas été ré-autorisé mais ce courant est présent à l'assemblée nationale à travers d'autres formations, islamo-conservatrices.
Nabil1984: La grande majorité d'Algériens savent que le pays est dans cet état à cause des militaires, cependant, ils ne peuvent agir car ils ont le sentiment que ces mêmes militaires ont eu et ont toujours l'appui des occidentaux, qu'en pensez-vous?
Les autorités algériennes et donc les militaires ont incontestablement bénéficié du soutien de l'Occident, singulièrement de la France, dans leur guerre contre les islamistes. En Algérie comme dans beaucoup d'autres pays, les Occidentaux ont eu tendance à soutenir des pouvoirs autoritaires avec l'idée qu'ils étaient des remparts face à l'islamisme. Cela a été aussi le cas avec Ben Ali, en Tunisie. Mais cela n'a pas empêché les Tunisiens de l'obliger à "dégager"... Il n'en reste pas moins vrai que le soutien accordé par nos pays à des dictatures est dommageable au regard de nos propres valeurs.
Aladain: Pensez-vous à un automne algérien comme il y a eu en Tunisie?
Pour qu'il y ait un "automne" algérien encore faudrait-il qu'i y est eu un "printemps". L'Algérie est restée à l'écart du mouvement des "révolutions arabes" qui n'a débouché que sur une série de revendications sociales, vite satisfaites par le régime. Il y a sans doute à cela plusieurs raisons: le spectre de la guerre civile d'abord, les Algériens ne veulent à aucun prix revivre une autre décennie noire comme la décennie 1990. Aussi le fait qu'en Algérie il ne suffirait pas de provoquer la chute du chef de l'Etat pour changer le système...
fleury: Je suis fonctionnaire de la santé publique et j'ai vu mon salaire passer de 44 000 Dinars à 67 000 DA, mais cela n'a rien modifié dans notre offre de soins, je me dis alors que le gouvernement achète notre silence puisque la qualité de vie des Algériens, tout le monde s'en fiche. Alors à quoi sert-il d'augmenter les salaires pour voir la même misère dans les hôpitaux et dans les yeux de nombreux Algériens rongés par la précarité et dans celle des plus démunis, ceux qui n'ont pas où aller pour se soigner à un coût raisonnable. Et ma question est: combien de temps ce pouvoir mettra-t-il pour comprendre que c'est déjà le début de la fin et que plus rien, aucune mesure ne le sauvera du purgatoire et qu'il connaîtra la fin tragique de ses prédécesseurs arabes?
La question est moins de savoir combien de temps mettra ce pouvoir pour comprendre que c'est la fin mais s'il est ou non possible que l'Algérie connaisse à son tour un mouvement du type de ceux qu'ont connu d'autres pays arabes. Le ras-le-bol des Algériens contre la hogra et tout ce que vous mentionnez est réel est profond. Cela ne signifie pas pour autant que les Algériens sont prêts à faire la révolution demain matin.
Falbala: Comment l'Algérie se comporte-t-elle en voyant les voisins secoués par le "printemps arabe"? Sa position par rapport à la famille Kadhafi par exemple? Certains sont allés de réfugier en Algérie, pourquoi?
L'Algérie a soutenu Kadhafi presque jusqu'au bout et fini, récemment, par reconnaître en Libye le Conseil national de transition. Une partie de la famille du raïs libyen est effectivement en Algérie, la fille de Kadhafi s'est vu rappeler son obligation de réserve il y a quelques jours. Je pense que l'Algérie qui a peur du printemps arabe milite tant qu'elle le peut pour le statu quo. Quitte à changer son fusil d'épaule lorsque cette position n'est plus tenable.
Gilbert: Comment expliquez-vous l'indulgence de la communauté internationale face au régime algérien et ses crimes (200 000 morts guerre civile, moine de Tibehirine, attentats à Paris en 1995, etc...) Il est généralement facile pour un régime musclé d'obtenir le soutien des Occidentaux quand il fait valoir qu'il est un rempart contre l'islamisme. La France a soutenu l'Algérie mais aussi la Tunisie. Il y a par ailleurs de trés gros intérêts économique. Le pétrole bien sûr mais aussi tout l'export.
Wassisansoucis: Qui selon vous va reprendre le pouvoir en Algérie après Bouteflika?
Il ne semble pas, pour l'heure, que le pays se dirige vers une révolution. Sans révolution, la succession sera réglée comme cela a toujours été le cas à travers des discussions au sein du sérail et le successeur devra, comme l'avait été Bouteflika, être adoubé par l'armée et ses services. L'actuel Premier ministre pourrait avoir ses chances, mais d'autres aussi.
Par LEXPRESS.fr, publié le 07/10/2011