L'Algérie revoit sa position sur le conflit libyen. Soumises à de fortes pressions internationales, les autorités algériennes ont fait hier un premier pas vers la reconnaissance du CNT libyen. Avec un bémol : le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, a déclaré que son pays serait prêt à reconnaître le CNT lorsqu'un gouvernement représentatif sera formé. Il refuse ainsi de reconnaître directement le représentant des rebelles, comme l'ont fait les grandes puissances.
En réalité, le régime algérien a du mal à faire le deuil du dictateur déchu Mouammar Kadhafi, chassé par son peuple. Comme l'a dit Alain Juppé, Alger a toujours eu une position « ambiguë » sur la crise libyenne. Tout en affirmant sa neutralité, le pays avait misé sur un enlisement du conflit, jamais sur une chute rapide de Tripoli, tombée aux mains des rebelles. Un faux calcul qui illustre les liens étroits qu'entretenaient l'Algérie et la Libye sous Kadhafi. « Nos relations étaient certes complexes et difficiles, mais Bouteflika contrôlait et gérait bien Kadhafi », affirme un haut responsable algérien. Les deux pays s'entendaient sur la surveillance des frontières, le partage des eaux souterraines du Sahara et la lutte contre al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).
Le geste de Kadhafi
Saïf al-Islam effectuait régulièrement des visites en Algérie, particulièrement à Tlemcen (Ouest), d'où sont originaires la majorité des dirigeants algériens, y compris le président Bouteflika. Le fils de Kadhafi, qui a investi dans l'hôtellerie de luxe dans le pays, serait marié à une Algérienne originaire de cette ville.
En outre, l'Algérie se souvient du geste de Kadhafi lors de la nationalisation des hydrocarbures, en 1971. « Il nous a ouvert un compte plein d'argent et nous a demandé de nous en servir comme on voulait en cas de représailles des pays occidentaux lésés par cette nationalisation. C'était une décision très courageuse de sa part et un geste inoubliable », raconte un ancien haut responsable. « Aujourd'hui, on ne peut pas quand même soutenir son départ », ajoute-t-il.
Pour les nouvelles générations et les militaires, Mouammar Kadhafi n'avait cessé de tenter de diviser l'Algérie. Il a toujours incité les Touareg à créer leur propre pays, en les finançant grâce à ses pétrodollars. Mais au-delà des relations qu'entretenait l'ex-« guide » avec Alger, sa chute et l'arrivée des rebelles du CNT sont une aubaine pour le pouvoir algérien, pour faire passer des réformes politiques contestées par l'opposition et détourner les regards locaux et étrangers sur la crise interne.
Enjeux colossaux
Mais à terme, une Libye démocratique n'arrangerait pas les affaires d'Alger. « La victoire des rebelles signifie des bases françaises et américaines à nos frontières avec la Libye, à l'est. Cela veut dire que nous devons repenser tout notre système de défense. L'ennemi est à nos portes », explique un autre responsable algérien. Et ce n'est pas la seule inquiétude de l'Algérie : « Notre position d'interlocuteur privilégié des Américains dans la lutte contre Aqmi au Sahel est aussi menacée. La Libye va attirer tous les investisseurs étrangers qui cherchent à s'installer en Afrique du Nord », ajoute le même interlocuteur.
Les enjeux sont donc colossaux pour un pays qui revendique le statut de puissance régionale grâce à son pétrole et à son gaz. Une position que lui disputerait une Libye libre, démocratique, pro-occidentale et riche en hydrocarbures.