Dans un message rendu public, la famille Arkoun a essayé de déclencher une étincelle d'orgueil chez les autorités politiques algériennes. En vain, le corps de Mohamed, son illustre fils, reposera au Maroc, pays natal de son épouse.
Le gouvernement ne fera rien pour le rapatriement du corps de l’intellectuel défunt, il a annoncé la couleur en n'envoyant aucune personnalité politique à la cérémonie d'adieu organisée à Paris, jeudi. Et pas de condoléances du président de la République si prompt pourtant à réagir au décès de n'importe quel chef de zaouïa. Il y a eu du côté du pouvoir une rancune tenace contre Mohamed Arkoun qui, manifestement, le dérangeait par son franc-parler et ses positions politiques et idéologiques non conformistes.
Son œuvre, illuminant la pensée islamique, était méconnue en Algérie et ses livres rares en librairie pendant que foisonnaient les ouvrages de charlatans de tout acabit sur la pensée et la pratique religieuses. La même rancune que celle manifestée à l'égard des dirigeants de la Révolution soupçonnés d'avoir appartenu, un moment ou un autre, à un autre bord politique ou tenu des propos critiques à l’encontre du régime. Feu Bentobal, un des derniers géants de l'histoire qui vient de partir, a été rendu à sa terre presque dans l'indifférence sans avoir bénéficié de l'hommage grandiose de l'Etat auquel il avait droit tout naturellement... Pas plus tard qu'hier, un monument du cinéma algérien tant apprécié des téléspectateurs, Larbi Zekkal, était enterré dans l'anonymat le plus total.
Aucune personnalité n'était là pour lui manifester la gratitude – si elle existe – de l'Etat algérien pour son parcours artistique exemplaire. La liste est longue de ces révolutionnaires, intellectuels et artistes partis sur la pointe des pieds, beaucoup et c'est le plus choquant, dans une grande précarité sociale. De leur vivant, plus spécialement les hommes de culture, les pouvoirs publics n'ont jamais pensé à les sécuriser par un statut leur fixant leurs droits et leurs devoirs professionnels. La plupart doivent galérer comme vacataires, sans réelle couverture sociale, se retrouvant au crépuscule de leur vie avec une retraite de misère. Beaucoup ont dû affronter la maladie seuls, ne s'en sortant que grâce à la générosité collective ou par le biais d'un sursaut tardif des pouvoirs publics.
Des intellectuels de renom ont dû quitter le pays pour sauvegarder leur vie ou s'exprimer plus librement. Mais un grand nombre d'entre eux ont pu bénéficier dans les capitales étrangères d'une grande reconnaissance pour leur œuvre, celle-là même qui leur manquait cruellement chez eux.
Le pouvoir politique a pensé trouver le talon d'Achille des gens de l'intelligence et de l'art qui ne le caressent pas dans le sens du poil : l'indifférence et le mépris.
Ali Bahmane ( Journaliste à El Watan )