Pour Nacer Djabi, la reprise de la contestation sociale, ces derniers jours, était prévisible. La nouvelle montée au créneau des fonctionnaires est la conséquence, selon lui, du manque de fiabilité du mode de négociation imposé par les pouvoirs publics.
Ces derniers, dit-il, n’acceptent de négocier que s’il y a des grands mouvements de protestation. Mais dès qu’il y a une accalmie, l’administration oublie ses promesses.- La contestation sociale reprend ces derniers jours. Plusieurs syndicats autonomes organisent des mouvements de grève pour poser encore une fois sur la table les mêmes revendications. Comment expliquer cette nouvelle tension sociale ?
Je crois qu’il y a plusieurs explications. La protestation se poursuit depuis nombre d’années et notamment depuis 2011. Il y a un renouvellement des revendications. Cela était prévisible. Après l’échec du terrorisme et l’amélioration de la situation sécuritaire, il était prévisible que la revendication sociale devienne de plus en plus importante. Il y a, depuis 2011, un renouveau syndical qui prend en charge cette revendication sociale, qui est le fait des fonctionnaires de l’Etat. La nouveauté, depuis quelques mois, est la montée au créneau des gens qui sont exclus du monde du travail, à savoir les chômeurs. Les revendications sont devenues régionales et c’est le cas actuellement au sud du pays. Auparavant, la protestation se faisait dans les grandes villes et les quartiers populaires. Aujourd’hui, elle gagne le monde rural et le Sud, qui étaient jusque-là paisibles. Les mouvements sociaux sont généralisés.
- Pourquoi, selon vous ?
C’est une tendance qui est apparue depuis quelque temps. La situation financière du pays qui connaît, non seulement une embellie, mais une «obésité» financière. Le citoyen voit qu’il y a de l’argent, mais il y a une disparité sociale grave. Il est donc normal que le gens revendiquent ce qu’ils considèrent comme étant leurs droits : l’augmentation des salaires, des revenus plus élevés, des conditions de travail meilleures et un emploi pour ceux qui n’en ont pas.
- Ce sont, en grande partie, les fonctionnaires qui sont à l’origine de la protestation. Cela veut-il dire que les mesures et les décisions prises depuis 2010 n’ont eu aucun effet sur le quotidien des travailleurs ?
Il y a plusieurs explications à cela. La première est que le mode de négociation n’est pas fiable. Généralement, le gouvernement n’accepte de négocier que s’il est acculé ; il ne réagit que s’il y a une grève qui dure et qui n’a pas de connotation politique. C’est-à-dire que le système de négociation ne fonctionne pas ; dès qu’il y a une accalmie, l’administration oublie ses promesses et renie ses engagements. Donc le problème est la fiabilité des négociations. Et là, la responsabilité est partagée par l’administration et les syndicats, qui ne bougent qu’à la veille des vacances d’été (au printemps) et à la rentrée sociale. L’autre explication est l’inflation qui grignote les augmentations des salaires et affaiblit le pouvoir d’achat des fonctionnaires. Ce sont des explications purement économiques. Mais il y en a une autre, qu’on peut appeler l’explication politico-psychologique. Les gens voient que l’Etat dispose de ressources financières importantes et, en parallèle, il y a une généralisation de la corruption où des milliards sont détournés par une poignée d’Algériens. Cela crée automatiquement une tension et les revendications sociales s’amplifient. Il y aura donc une surenchère dans le domaine socioéconomique parce que les mouvements sociaux n’arrivent pas à réaliser des revendications politiques claires.
- Qui est responsable de cette situation ?
Il y a d’abord la faiblesse des mouvements sociaux et syndicaux qui n’arrivent pas à imposer des revendications politiques. Le mouvement social s’acharne alors sur les questions socioéconomiques qui sont négociables. Car le pouvoir accepte de négocier et cède plus facilement quand les revendications sont à caractère socioéconomique parce qu’il a de l’argent. Mais il n’accepte pas de revendications qui ont une couleur politique.
Madjid Makedhi