«C’est un policier qui m’a frappé d’une pierre à la tête», dénonce le jeune Hocine. Du sang coule sur son cou. Sa nuque porte une plaie profonde. «Il faut l’évacuer à l’hôpital!» crie un homme. Hocine relève la tête difficilement. Sur son visage émacié se décline le rêve brisé de sa jeunesse. Celui de mener une vie digne au sein de sa famille. Dans ses yeux, luit la flamme de la révolte. Cette révolte a allumé le brasier des émeutes. La cité Diar El Baraka à Baraki, banlieue d’Alger, est en colère.
Les échauffourées entre les éléments de la police antiémeute et les habitants du quartier ont commencé hier, très tôt le matin.
«Nous avons commencé à crier notre colère à cinq heures du matin. La police est arrivée et les émeutes ont commencé», déclare un autre jeune émeutier. Il est 10h. Les jeunes ont mis le feu aux pneus. Les Casques bleus reçoivent du renfort. Certaines répliques mal à propos des services d’ordre mettent le feu aux poudres. Les jeunes fulminent de colère. Ils sont prêts à en découdre.
Des enfants interpellés
La police cerne la cité par ses trois entrées. Les «échanges» de jets de pierres se font plus nourris. «C’est incroyable! La police nous attaque avec des pierres. Nous demandons nos droits. Alors, pourquoi cette répression?» s’étonne un jeune émeutier, la tête entourée du keffieh palestinien. Arrêt sur une scène marquante. Avec des jets de pierres la police s’oppose à...des gamins. Ces derniers résistent un moment. Les policiers reviennent à la charge. Les enfants fuient. Et c’est la panique. Les habitants s’inquiètent pour eux. Finalement, il y a eu plus de peur que de mal. Les gamins n’ont pas été arrêtés. Cela n’a pas pour autant calmé les esprits des révoltés. «Cinq personnes ont été arrêtées et plus de 20 blessés parmi les habitants et les policiers», indique Rachid Boudina, membre de la commission du relogement des habitants de la cité Diar El Baraka. L’âge des habitants arrêtés varie entre 22 et 42 ans.
Les premières informations recueillies sur les lieux faisaient état de l’arrestation de neuf personnes. «Il y avait quatre enfants qui ont été libérés par la suite», est-il précisé.
Les raisons de la colère
M.Boudina décline les raisons de cette révolte. «Notre cité compte plus de 2200 familles entassées dans 700 maisons», révèle-t-il. Il retrace le parcours du combattant qu’ils ont fait pour inscrire leur cité dans le programme de relogement lancé par la wilaya d’Alger cette année. Ladite commission a été installée en novembre de l’année précédente, précise M Boudina.
«Le wali-délégué de Baraki nous a invités à une réunion en mars de cette année. Il nous a conviés à constituer une commission pour l’étude des dossiers de demandes de logement», a ajouté notre interlocuteur. La commission a passé sept mois à étudier les dossiers. Elle a établi une liste de demandeurs de logement. Ces membres ont attendu une réponse officielle de l’administration. Rien n’a profilé à l’horizon. «Nous attendons depuis le mois de juin et voyez-vous où cette attente nous a menés», regrette M.Boudina. Pourtant, les autorités ont annoncé en grande pompe, en début de la semaine, l’opération de relogement de ces habitants. «Je l’ai entendu à la radio. Aussi, un quotidien a fait part de cette information», affirme un autre habitant de la cité. «J’ai été surpris de découvrir que notre cité ne figure pas dans la liste des opérations de relogement lancées aujourd’hui (hier)», renchérit-il. Hier, une large opération de relogement a été effectuée par les services de la wilaya d’Alger. Elle a touché près de 1600 familles (1586) occupant des bidonvilles et des habitations précaires. Le directeur du logement de la wilaya, Smaïl Mohamed, a annoncé à la radio que «ce sont d’abord les habitants de Diar Echems, Diar El-Kef et de la cité des Palmiers qui seront visés». Il a précisé que trois opérations «combinées et non-stop», seront également lancées. Pour rappel, la première action de ce dispositif de relogement a été lancée en janvier 2010. Elle a vu le relogement de 10.000 familles et le démantèlement de 12 sites. Elle a touché 579 familles occupant des chalets. La seconde opération concerne 520 familles de Diar Echems tandis que la troisième touchera 487 foyers. «Nous sommes laissés-pour-compte», déplore Samir.
La police verse dans un langage indécent
A ce moment, un jeune crie: «Ils ont blessé ma soeur!». Des éléments de la police sont visibles sur les toits de maisons qui menacent de s’effondrer. Ils font abattre sur la foule une pluie de pierres. Ils ne font aucune distinction ni d’âge, ni de sexe. Les chargés de l’ordre et de la sécurité auront même versé dans un langage irrespectueux. Un torrent d’insultes et de noms d’oiseaux est lancé sur les citoyens de la cité. Ces derniers répliquent par des slogans hostiles au pouvoir. La misère a écrit des lignes saignantes sur les murs délabrés des habitations. Des maisons de deux pièces contiennent entre deux et trois familles. L’exemple de Aïcha Boulezazen est émouvant. Cette ancienne moudjahida habite un deux-pièces vétuste. Elle y vit avec les familles de ses deux fils mariés. «J’ai également un garçon et deux filles célibataires (deux autre filles sont mariées et vivent ailleurs). Ils vivent avec moi. L’une de mes filles est handicapée à 100%» dit, sereinement, Na Aicha. Sur ces propos, nous nous rendons au siège de la daïra. A l’entrée sont regroupées des familles entières. Seulement, le nombre des policiers présents est supérieur à celui des citoyens. Parmi les familles figurent les demandeurs de logement sociaux et celles des victimes de la tragédie nationale. «Nous avons des dossiers de demandes de logement qui datent de 1982. Basta! Que les autorités arrêtent de mentir aux citoyens», crie l’un de ces citoyens.
Les émeutes du logement risquent de sonner le tocsin d’une révolte sociale générale. Les échauffourée de Baraki sont intervenues au lendemain de celles de la cité des Palmiers, à Bachdjarrah, et celle de la Glacière. Alger est sur une poudrière.