En se présentant au tribunal d’Arzew, Abdelhafid Feghouli, président de l’activité Aval de Sonatrach, ainsi que les deux directeurs généraux
de Safir et de Cogiz étaient sereins et confiants. Ils ne s’attendaient pas au mandat de dépôt décidé à leur encontre. L’affaire concerne un contrat de gré à gré d’un montant de 660 millions de dinars.
C’est lundi dernier en fin de journée qu’une dizaine de cadres de l’activité Aval, dont le président Abdelhafid Feghouli, ont été déférés devant le tribunal d’Arzew près la cour d’Oran. Avec eux, d’autres cadres de la filiale Cogiz de Sonatrach et de Safir SPA, une société algéro-française dans laquelle la compagnie et Sonelgaz détiennent 51% des actions.
Dans le milieu, tout le monde savait que l’affaire était en cours au niveau des services de sécurité, et ce, depuis près de deux mois. L’opinion publique était plutôt braquée sur la cour d’Oran, qui venait de condamner cinq cadres dirigeants de la STH – une autre filiale de Sonatrach – à des peines de 4 à 6 ans de prison ferme pour avoir passé quatre marchés de gré à gré jugés contraires à la réglementation des marchés publics.
En fait, le même tribunal, qui avait instruit et jugé l’affaire de la STH, venait d’être saisi pour un autre dossier, toujours lié à un marché de gré à gré. Mais cette fois-ci, c’est l’activité Aval, la plus importante du groupe, basée à Oran, qui est au centre du scandale. Il s’agit du contrat signé le 3 octobre 2007 avec la société algéro-française Safir SPA – détenue à 51% par Sonatrach et Sonelgaz, et à 49 % par l’entreprise française Marais Connecting – pour la réalisation d’un centre de stockage et de conditionnement de l’azote au niveau de la plateforme industrielle d’Arzew. Objectif : sécuriser les installations implantées dans la zone et celles en cours de réalisation, mais aussi permettre l’accroissement des capacités de stockage de l’azote produit par Cogiz, filiale à 100% de Sonatrach, grâce à la construction de 10 bacs de stockage pour un montant de 10 millions d’euros. Pour les officiers de la police judiciaire du Département du renseignement et de sécurité (DRS) dépendant de la 2e Région militaire, il y a eu «malversation, dilapidation de deniers publics et violation de la réglementation des marchés publics».
Pour eux, «il n’y avait pas urgence» pour justifier la procédure de gré à gré afin que le maître d’œuvre, qui est Safir SPA, donne le marché à Cogiz «sans passer par un avis d’appel d’offres d’autant qu’il existe des sociétés et filiales de Sonatrach qui maîtrisent le domaine». Selon des sources judiciaires locales, il est également reproché le dépassement du délai de réalisation, prévu pour 24 mois, pour 10 bacs, avec une date de livraison pour septembre 1989. «Ce délai n’a pas été respecté. Seuls deux bacs ont été réalisés, avec de graves anomalies et avec des capacités ne dépassant pas les 6% de celles prévues», affirment nos sources, qui relèvent que les contrats ont été signés avec «l’accord» des responsables de l’activité Aval, après les avoir «soumis pour appréciation» au PDG du groupe. En fait, le marché est composé de deux lots. Le premier, relatif aux équipements et matériel, a été confié aux Indiens ; l’autre, concernant l’étude engineering et réalisation, à Safir SPA, qui a fait appel à Cogiz pour la réalisation, pour un montant de 660 millions de dinars (66 milliards de centimes). C’est ce dernier volet qui a suscité l’intérêt des enquêteurs. Après plusieurs semaines d’investigations, Abdelhafid Feghouli, président de l’activité Aval, son directeur des études et développement, Henni Mekki, les directeurs généraux de Safir SPA (Tidjini Nechnech) et de Cogiz (Touati Bennamar), ainsi que l’ex-PDG du groupe Sonatrach, Mohamed Meziane, sont présentés et inculpés pour, entre autres, «dilapidation de deniers publics» et «violation de la législation du code des marchés publics». Les quatre premiers sont placés sous mandat de dépôt alors que Meziane a été maintenu sous contrôle judiciaire.
Pour certains collègues des mis en cause, «Cogiz est l’une des filiales les plus compétentes en la matière. Elle est la seule qui détienne les équipements et le matériel adéquats. Son choix est dicté par sa compétence et ses capacités. Elle était la seule à pouvoir réaliser le marché. L’urgence y était, parce qu’il fallait éviter les accidents d’explosion à tout prix et en un temps record. De plus, il s’agit d’une filiale appartenant à 100% à Sonatrach».
D’autres collègues n’arrivent pas à expliquer l’éclatement de cette affaire. Ils affirment que «le montant du marché objet de l’enquête est minime par rapport aux autres contrats signés et qui méritent d’être contrôlés».
En tout état de cause, la nouvelle de la mise sous mandat de dépôt des quatre dirigeants a fait l’effet d’une bombe à Arzew, même si ces dernières années, l’activité Aval du groupe Sonatrach, basée à Oran, a fait couler beaucoup d’encre vu les nombreux et importants marchés qu’elle a passés.
Selon certains de ses cadres, ces contrats ont atteint les 10 milliards de dollars entre 2004 et 2010. Un montant qui ne prend pas en compte les marchés octroyés dans le cadre de l’organisation de la 16e conférence internationale sur le gaz naturel liquéfié (GNL16) qui s’est tenue à Oran du 18 au 21 avril 2010, pour la réalisation du chapiteau aérogare, du centre de conventions, de l’hôtel Méridien, de l’affrètement de deux bateaux-hôtels haut standing pour assurer le séjour des VIP durant la conférence, dont la majorité n’est pas venu à cause du volcan islandais… Tous ces marchés ont suscité de lourdes interrogations restées sans réponse. Pour les proches des cadres de l’activité Aval, tous ces actes de gestion étaient dictés par la fameuse directive R15 du ministre, Chakib Khelil, et soumis non seulement à l’appréciation du PDG du groupe, mais également à celle de son ministre.
Est-ce le début des comptes de l’ère de Khelil ? Nous n’en savons rien. Ce qui est certain, c’est que beaucoup voient dans la mise sous mandat de dépôt de Feghouli la fin d’une époque qui a causé et continue de causer de lourds dommages collatéraux, au sein d’une compagnie dont l’image ne cesse d’en pâtir….